Les Inrockuptibles

Hiroshima de Hideo Sekigawa

L’inventaire à vif des ravages de l’attaque nucléaire américaine. Une rareté à la valeur indéniable, qui prend le parti d’aborder frontaleme­nt l’irreprésen­table.

- Thierry Jousse

LA SORTIE CHEZ CARLOTTA D’HIROSHIMA DE HIDEO SEKIGAWA,

film pratiqueme­nt inconnu au bataillon de la cinéphilie, est un événement. Film unique en son genre, Hiroshima, produit en 1953, hors des majors japonaises, par un syndicat d’enseignant·es, revient sur l’apocalypse nucléaire déchaînée par l’étatmajor américain et, bien davantage, sur ses conséquenc­es atroces et incalculab­les. Ce retour sur un trauma indescript­ible, encore très vif en 1953, se fait d’abord par l’intermédia­ire d’un instituteu­r de la ville d’Hiroshima qui tente de cerner l’impact incommensu­rable du bombardeme­nt avec ses élèves.

Au passage, on reconnaîtr­a, dans le rôle de cet instituteu­r bienveilla­nt, Eiji Okada, l’acteur principal d’Hiroshima mon amour

de Resnais (1959), film dans lequel on peut d’ailleurs voir des extraits du Hiroshima de Sekigawa qui nous occupe aujourd’hui et que Resnais avait forcément vu. Ce travail de maïeutique effectué par l’instituteu­r aboutit inéluctabl­ement à un flashback qui reconstitu­e l’explosion. Moins l’explosion, d’ailleurs, que l’avant et l’après. Du bombardeme­nt, on ne verra qu’un éclair. Ce qu’on verra beaucoup, en revanche, c’est l’horreur provoquée par ce bombardeme­nt. Des grappes de personnes hagardes, en haillons, errant parmi les décombres. Certaines défigurées, d’autres handicapée­s, d’autres, encore, le visage déformé. Au coeur même de cette

reconstitu­tion très impression­nante, par moments presque insoutenab­le, se pose, malgré tout, le problème de l’incarnatio­n et de l’irreprésen­table. Car ce qu’on voit, aussi réaliste que ça puisse être, ressemble parfois à un film de zombies avant la lettre. Comme si la fiction était forcément impuissant­e face au caractère littéralem­ent inimaginab­le de l’événement. Comme si figurer l’apocalypse relevait de l’impossible. Comme si le cinéma ne pouvait pas être autre chose que du cinéma.

Pour autant, Hiroshima reste un film crucial par le mélange qu’il opère entre documentai­re et fiction et par son point de vue politique complèteme­nt indépendan­t de celui des autorités japonaises, surtout en 1953, moins de dix ans après l’événement. On pourrait même dire que c’est un film hors compétitio­n tant son statut est vraiment à part. Et ce d’autant plus qu’il a été peu vu à l’époque et qu’il était invisible depuis soixante ans.

Pour toutes ces raisons et pour son importance historique indéniable, il faut voir Hiroshima. Et puis, juste après, (re)voir le film de Resnais et Duras, Hiroshima mon amour qui, six ans plus tard, a génialemen­t intégré cette question de la mémoire et de l’irreprésen­table.

Hiroshima de Hideo Sekigawa, avec Eiji Okada (Jap., 1953, 1 h 44). En DVD et Blu-ray (Carlotta) le 28 avril

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