Marianne Faithfull with Warren Ellis
La chanteuse anglaise revisite ses poèmes favoris sur un album miraculeux.
ALLEN GINSBERG L’AVAIT RECRUTÉE COMME PROFESSEURE à l’école qu’il avait fondée, la Jack Kerouac School of Disembodied Poetics ; elle y enseignait l’art d’écrire les paroles de chanson. Si Andrew Oldham, alors manager des Stones, n’avait pas flashé sur elle quand elle avait 17 ans, Marianne Faithfull aurait pu devenir maîtresse de conférence en littérature ou écrivaine plutôt que rock star, tant les textes de grands auteurs l’ont accompagnée toute sa vie et nourri sa plume. Après avoir chanté l’opéra de Kurt Weill, Les Sept Péchés capitaux, sur un livret de Bertolt Brecht, lu sur scène des sonnets de Shakespeare, elle revient à son premier amour d’adolescence, la poésie britannique. Pour She Walks in Beauty, elle dépoussière le concept d’album spoken word et s’empare d’une dizaine de poèmes de Lord Byron, John Keats ou Percy Bysshe Shelley.
Ecouter une artiste comme elle entonner, au crépuscule de sa vie, des oeuvres romantiques écrites il y a plusieurs siècles se révèle immédiatement bouleversant. Lorsqu’elle relit Ozymandias de Shelley ou Surprised by Joy de William Wordsworth, ces textes qui l’ont touchée au coeur durant
sa jeunesse, on croit même percevoir qu’elle se régénère auprès de cette source de jouvence poétique. Ce qui se révèle paradoxal puisque She Walks in Beauty a été initié au début de la pandémie et que Marianne Faithfull a failli succomber au virus quelques semaines après. Heureusement, elle a survécu et pu mener jusqu’à son terme cette aventure… mais pas seule.
Le formidable multi-instrumentiste Warren Ellis a imaginé les écrins sonores à même de sublimer sa voix grave de miraculée – elle fut sans-abri et addict après sa relation avec Jagger, eut un cancer du sein dans les années 2000… Ellis intervient ici comme un metteur en scène élastique. Il a sollicité son complice Nick Cave, pour des touches de piano, ou le violoncelliste Vincent Ségal afin de créer, pour chaque poème, un élégant collage. Parfois, le résultat emprunte à la musique concrète ou l’ambient comme sur La Belle Dame sans merci de Keats, rendu hypnotique par les bidouillages signés Brian Eno. Preuve que l’alchimie fonctionne : la version de The Lady of Shalott, poème d’Alfred Tennyson revisitant une légende arthurienne, tient en haleine durant onze minutes.