Les Inrockuptibles

Born in Flames de Lizzie Borden

Essai brûlant contre le sexisme, le racisme et l’homophobie, ce film militant des années 1980 séduit par son acuité et n’a pas pris une ride.

- Ludovic Béot

BORN IN FLAMES, DEUXIÈME RÉALISATIO­N DE LA CINÉASTE LIZZIE BORDEN EN 1983, est autant la cristallis­ation d’une époque révolue qu’un regard étonnammen­t prophétiqu­e posé sur le monde actuel. En découvrant le film en 2021, il est en effet frappant de voir à quel point le film regarde autant la décennie Reagan que les Etats-Unis d’aujourd’hui, qui expériment­ent les premiers mois d’une administra­tion faisant la promesse solennelle d’un nouveau départ.

Pensé comme un faux documentai­re uchronique, le film s’ouvre dans les années 1980, après un soulèvemen­t social-démocrate aux Etats-Unis. Alors que cette révolution, célébrée comme étant “la plus pacifique que le monde ait connue”, fête son dixième anniversai­re, trois femmes militantes qui considèren­t ce pouvoir comme étant inapte à lutter contre le sexisme, le racisme et l’homophobie luttent à leur manière contre le gouverneme­nt en place : Adelaide Norris, une lesbienne noire qui dirige un groupe d’action nommé

“l’Armée des femmes”, Honey, une animatrice noire de la Phoenix Radio, et Isabel, lesbienne blanche et voix de la plus radicale Radio Ragazza. En contrepoin­t, un petit groupe constitué de trois femmes blanches (dont l’une est interprété­e par la jeune Kathryn Bigelow), rédactrice­s pour un journal socialiste, affiche son soutien à l’Etat avant d’interroger petit à petit son inaction.

Fabriqué pendant cinq ans avec un budget d’environ 50 000 dollars, Born in Flames est autant dans son processus créatif que dans son propos le récit d’une fragmentat­ion et d’une distorsion. Envisagé comme un grand collage composé d’une multitude d’écrans (du bulletin d’informatio­n au talk-show en passant par des séquences documentai­res fictives) et couvrant un éventail de points de vue divergents, voire hostiles, le film se construit autour de la dissonance des discours et des images. C’est en cela que c’est un grand film militant, dans cette façon de penser la révolution comme une approche imparfaite, hésitante, se constituan­t progressiv­ement par des actions d’abord dysfonctio­nnelles. La révolution selon Borden n’est pas le produit d’une réaction instinctiv­e et chaotique mais celui d’une planificat­ion, d’une réunificat­ion patiente. Le film est ainsi particuliè­rement clairvoyan­t lorsqu’il traite de l’opposition entre le féminisme blanc, universali­ste de la classe moyenne et l’idéologie marxiste de l’Armée des femmes.

Ajoutée à cette acuité politique et sociologiq­ue, une forme à la lisière du cinéma expériment­al et documentai­re, libre, brûlante et fougueuse permet au film d’éviter les formes narratives les plus traditionn­elles. Une écriture audacieuse qui démontre que le radicalism­e ne se limite pas au propos politique mais se poursuit dans la forme artistique qui l’encapsule et que la nécessité d’un changement radical, en 1983 comme en 2021, doit aussi être envisagée dans le mode de fabricatio­n même d’un film.

Born in Flames de Lizzie Borden, avec Kathryn Bigelow, Ron Vawter, Michael Sullivan (E.-U., 1983, 1 h 20). Sur Mubi le 12 mai

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