Les Inrockuptibles

Run the World de Leigh Davenport

Le quotidien de quatre femmes noires puissantes qui affirment leur identité dans le Harlem d’aujourd’hui de manière subtile et provocante.

- Olivier Joyard

LA RÉFÉRENCE À BEYONCÉ

ET SON SINGLE DE 2011 (DÉJÀ !) N’A ÉVIDEMMENT RIEN DE FORTUIT : Run the World est l’histoire de femmes noires puissantes qui prennent en main tous les aspects de leur vie et occupent l’écran sans s’excuser de le faire, sans non plus que personne ne leur prenne la lumière. On a beau tourner l’affaire dans tous les sens, le constat reste implacable : il y a dix ans, cette série n’aurait pas existé, même aux Etats-Unis. Peut-être même moins, sans parler de la France. C’est fou, mais c’est ainsi. Grâce au travail pionnier d’Issa Rae dans Insecure (depuis 2016), dont on sent l’influence évidente, une porte s’est entrouvert­e dans laquelle la créatrice Leigh Davenport et l’expériment­ée showrunneu­se Yvette Lee Bowser (ex- Dear White People) s’engouffren­t avec joie. La série a été commandée par Starzplay, dans le cadre d’un programme favorisant la diversité.

Tout se passe à Harlem, berceau de la culture noire à New York depuis un siècle, un lieu que l’on découvre sous un jour absolument neuf du point de vue des représenta­tions. Les héroïnes de Run the World, Whitney, Ella, Renee et Sondi, sont des trentenair­es bourgeoise­s avec de bons jobs et de l’ambition à revendre, habillées comme des queens. Celles qui les ont précédées dans cet esprit de conquête, à quelques kilomètres de là, s’appellent Carrie, Samantha, Charlotte et Miranda. Sex and the City est d’ailleurs citée dès le premier épisode (comme elle l’était dans le pilote de Girls) avec une déférence amusée. Mais nous sommes bien en 2021, et Run the World affiche sa singularit­é en mettant en avant l’intimité ultra-contempora­ine de ses personnage­s, pris dans les affres de l’engagement et accrochés à leur amitié dans une époque bien différente.

La force de la série, ce sont tout d’abord ses conversati­ons captées sur la longueur, comme si les unes et les autres se donnaient pour but d’améliorer leur vie par la parole et l’avis de leurs soeurs, pesant constammen­t le pour et le contre, passant leur temps à faire le point avec swing. La fiction avance par boucles, avec un sens aigu de la répétition et une intrigue finalement ténue.

Si l’attachemen­t pour ces femmes se développe immédiatem­ent, on sent aussi une forme de mécanique un peu forcée qui empêche de décoller vraiment avec elles dans ses quatre premiers épisodes. Installer un monde n’est pas chose aisée, surtout quand ce monde n’a que très rarement été montré auparavant. Mais Run the World est clairement partie pour durer et possède plusieurs cordes à son arc. Quand elles ne parlent plus de leurs désirs et de leur statut de femmes noires en pleine réussite sociale, les héroïnes baisent. Les hommes tiennent alors un rôle majeur (nous sommes globalemen­t à Hétéroland) mais le point de vue est toujours celui des femmes. De manière assez subtile et provocante, nous voilà face à une série qui assume son identité et traite le sujet à fond. Elle ne fait pas semblant de montrer toute l’étendue de l’expérience noire en Amérique (et personne ne devrait lui demander de le faire) mais creuse son matériau avec dextérité. C’est assez rare pour être signalé, et cela donne envie de poursuivre le chemin.

Run the World de Leigh Davenport, avec Amber Stevens West, Andrea Bordeaux, Bresha Webb. Sur Starzplay à partir du 16 mai

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