Une nouvelle lutte
Dans Une minorité modèle ?, la sociologue YA-HAN CHUANG donne la parole à des immigré·es chinois·es et à leurs enfants pour analyser et déconstruire la sinophobie à l’oeuvre dans l’Hexagone.
“ALERTE JAUNE.” NOUS SOMMES
LE 26 JANVIER 2020 et le Courrier picard décide de titrer ainsi sa une consacrée à l’épidémie de Covid-19. Si le quotidien régional présentait l’après-midi même ses excuses, le mal était fait. “Le virus ayant été découvert à Wuhan, en Chine, le fantasme du ‘péril jaune’ s’en est trouvé réactivé, de même que l’image de la Chine perçue comme un pays sous-développé, manquant d’hygiène et méprisable.” Ces mots sont ceux de Ya-Han Chuang, chercheuse à l’Institut national d’études démographiques (Ined) qui publie Une minorité modèle ? Chinois de France et racisme anti-Asiatiques.
Dans cette enquête ethnographique très fouillée et imagée – on y lit de belles descriptions de scènes de repas, de manucures ou de manifestations –, la sociologue d’origine taïwanaise déconstruit les ressorts de la sinophobie à l’oeuvre en France, cette haine à l’égard de la Chine englobant toutes les personnes perçues comme asiatiques, qu’elles soient effectivement chinoises ou non. Ces dernières seraient “dociles”, “travailleuses”, “discrètes”... Bref, une “minorité modèle”, pour reprendre cette expression tout en finesse prononcée par Nicolas Sarkozy, en 2010. Pour l’autrice, qui travaille sur le sujet depuis plus de dix ans, de tels stéréotypes ont pourtant pour conséquence une négation de “la réalité du racisme anti-Asiatiques et la violence de préjugés dont on s’amuse”, et le renfort de la figure de l’“envahisseur” à laquelle sont assimilé·es les Asiatiques dans l’Hexagone. D’où son choix de laisser largement la parole aux premier·ières concerné·es dans cet ouvrage : en racontant leurs parcours et cheminements personnels, Ailing, Qian, Pierre ou encore Emma donnent à voir une réalité complexe et plurielle concernant la communauté asiatique en France, loin des traditionnelles essentialisations racistes.
Un racisme que les Français·es d’origine asiatique ne veulent plus laisser passer : Ya-Han Chuang raconte comment le terrible assassinat du couturier Chaolin Zhang, à Aubervilliers, en 2016, et plus récemment la pandémie de Covid-19 ont servi de catalyseurs aux nouvelles générations qui, contrairement à leurs parents, sont nées en France. Ainsi, “ces jeunes asiatiques qui se construisent autour de la recherche d’identités hybrides parviennent à transformer leur quête identitaire individuelle en luttes antiracistes dans des champs variés”. En témoigne l’émergence sur les réseaux sociaux de ce hashtag, en janvier 2020 : #JeNeSuisPasUnVirus.