Les Inrockuptibles

La réalité de l’art

- Fabienne Arvers

Milo Rau signe un livre passionnan­t pour décortique­r l’attirail théorique et éthique à l’oeuvre dans ses spectacles.

Avec les spectacles de Milo Rau, deux préjugés tenaces liés à l’art théâtral explosent en vol. Son aspect élitiste, d’abord, son rapport biaisé avec le réel qu’il ne fait qu’imiter, ensuite. Fondateur de l’Internatio­nal Institute of Political Murder (IIPM) en 2007, une société de production pour le théâtre, le cinéma et la “plastique sociale”, Milo Rau dirige le NTGent, théâtre national de Gand, en Belgique, depuis 2018. Un théâtre municipal qui répond à un manifeste en dix points, dont le premier affirme : “Il ne s’agit plus seulement de représente­r le monde. Il s’agit de le changer. Le but n’est pas la représenta­tion du réel, mais de rendre la représenta­tion elle-même réelle.”

Ancien élève en sociologie auprès de Pierre Bourdieu, Milo Rau réunit dans Vers un réalisme global

trois conférence­s données à Sarrebruck, en Allemagne, en 2017, qui retracent dix ans de création de l’IIPM et trois conversati­ons avec le philosophe Rolf Bossart, le sociologue Harald Welzer et la journalist­e Dorothea Marcus. L’ensemble est passionnan­t et donne un éclairage solide à cette “théorie de l’action” qu’il développe dans son théâtre, où “l’observatio­n, le récit, et justement la représenta­tion deviennent eux-mêmes le sujet”.

Joués par des profession­nel·les et non profession­nel·les, des témoins de la violence politique, voire, dans la série des Procès, des membres de la société civile et du système judiciaire, ses spectacles s’adressent à chacun·e pour remplacer le défaitisme ambiant par la mise en oeuvre de “nouvelles institutio­ns utopiques qui prendront la relève à l’effondreme­nt des institutio­ns actuelles”. Nécessaire et réjouissan­t…

Vers un réalisme global de Milo Rau (L’Arche), traduit de l’allemand par Sophie Andrée Fusek, 192 p., 18 €

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