“J’essaie de me découvrir à travers chacune de mes chansons.”
Le guitariste brésilien et californien d’adoption réinvente, huit ans après son inusable Cavalo, la grammaire de son folk lo-fi, aussi délicat qu’existentialiste.
“J’essaye de me découvrir à travers chacune de mes chansons, et j’espère qu’elles peuvent aussi refléter la vie de ceux·celles qui m’écoutent”, nous confesse-t-il. À 44 ans, Rodrigo Amarante livre seulement son second album solo, mais il est loin d’être novice. Pour faire court, on rappellera que ce natif de Rio de Janeiro a fait ses armes au sein du groupe de rock brésilien Los Hermanos et du big band Orquestra Imperial avant de s’acoquiner avec la clique de Devendra Banhart.
À la fin des années 2000, le voilà parti en Californie, qui devient sa patrie d’adoption. Il forme Little Joy avec Binki Shapiro et Fabrizio Moretti, le batteur des Strokes, le temps d’un album absolument charmant, puis se fait remarquer du grand public grâce à son titre Tuyo, choisi comme générique de la série de Netflix Narcos. On reconnaît dans Drama la saveur sonore de son premier LP, Cavalo, paru en 2013, ses cordes graciles, la saudade détournée en folk…
Drama, parce que, d’après le bouddhisme, la vie est une perpétuelle souffrance, mais qu’il faut se laisser surprendre par sa propre évolution, tout aussi perpétuelle. Et savoir s’en réjouir.
Drama, pour un souvenir d’enfance mémorable : “On disait de moi que j’étais trop sensible, trop mignon. Les autres me houspillaient sans cesse, alors mon père m’a coupé les cheveux afin que j’aie l’air plus effrayant, moins vulnérable.” Si Cavalo
évoquait l’exil, il s’agit aujourd’hui d’“un nouveau chapitre” : “Il regarde au-delà de la personnalité que j’avais présentée avec mon premier album”,
analyse son auteur. Lequel raconte la fin d’un amour, le début d’un autre qui s’esquisse dans des rêves ou sur une piste de danse, cultivant son langage habituel, jusqu’à l’autocitation volontaire : “J’ai toujours écrit les mêmes chansons, mais sous un jour différent”, admet-il. Ainsi, Maré convoque le même personnage que Hourglass de Cavalo, The End se fait l’écho du morceau Cavalo, quand Amarante chante “To live is to fall” – “Fall in love, comme disent les Américains”, nous glisse-t-il. Autour de lui, des instrumentistes de haut vol : Andres Renteria aux congas, Todd Dahlhoff à la basse, Paul Taylor à la batterie et, à la production, son ami de longue date Noah Georgeson (Bert Jansch, Joanna Newsom, Andy Shauf). C’est avec lui qu’il a terminé l’enregistrement, durant le confinement de 2020, sans qu’ils soient physiquement réunis dans la même pièce. Ce qui ne contredit nullement l’impression d’intimité que l’on entend dans la ballade vaporeuse I Can’t Wait, les effluves amoureux et pastoraux de Tanto, la bossa mélancolique de Tara ou les désillusions du socialement engagé Um Milhao : “Je suis triste et en colère face à la montée de la pensée fasciste, et pas seulement au Brésil”, regrette Amarante. Pour affronter la réalité, les formules du penseur britannique AlanWatts (auteur, entre autres, d’Éloge de l’insécurité), cité dans le morceau Tao. “Avec la pandémie, j’ai réalisé que le monde pouvait s’arrêter en une seconde et impacter l’essence de ma vie personnelle et artistique, commente Robrigo Amarante. Alors qu’à l’origine je voulais être plus percussif, plus froid, plus épuré, j’ai compris pendant l’enregistrement que ce désir avait un lien avec cette coupe de cheveux qui m’avait été imposée lorsque j’étais enfant. Et qu’il fallait, au contraire, entièrement embrasser le théâtre sentimental que je porte en moi.” La commedia dell’arte – et des coeurs – aura rarement été aussi sensible qu’ici.
“Quiet Is the New Loud”, proclamaient modestement Erlend Øye et Eirik Glambek Bøe pour titrer l’album qui a révélé les Kings of Convenience au monde. En 2001, en plein retour du rock à guitares, les Norvégiens de Bergen décidaient de prendre la mode à contre-courant. Fils spirituels de Simon & Garfunkel, Erlend Øye (le grand à lunettes) et Eirik Glambek Bøe (le brun effacé) deviennent les chantres d’un renouveau folk, vantant les guitares boisées, les mélodies graciles et les harmonies vocales.
À leur rythme, les Kings of Convenience se font désirer pendant plus de dix ans, alors qu’Erlend Øye se démultiplie en solo comme avec ses compatriotes de Kakkmaddafakka ou le trio italien La Comitiva. Après ce long silence, le duo réapparaît donc avec le bien nommé Peace or Love en ces temps où le farniente s’accommode à nouveau en terrasse. Illustré par un visuel en forme de carte postale apaisée, ce nouvel album demeure fidèle à la baseline historique de Kings of Convenience : Quiet Is the New Loud. De Rumours à Washing Machine, les deux Norvégiens déroulent leur songwriting intemporel et immédiatement reconnaissable. Encore une fois, ils invitent Feist sur deux titres renversants (Love Is a Lonely Thing et Catholic Country). À la manière d’un Bertrand Burgalat vantant “le Bottin en chanson” dans son dernier album, les Kings of Convenience pourraient chanter le catalogue des sacs à dos Fjällräven qu’on continuerait à les écouter les yeux fermés.