Les Inrockuptibles

Le septième art, victime collatéral­e de la guerre AmazonCana­l+

LA CHAÎNE CRYPTÉE RENONCE À DIFFUSER LA LIGUE 1. UN MANQUE À GAGNER QUI POURRAIT L’AMENER À SE DÉSENGAGER DU CINÉMA FRANÇAIS.

- Théo Ribeton

Quel est le rapport entre Jeff Bezos, un Strasbourg-Lorient et le prochain film de François Ozon ? Réponse : le dernier coup de tonnerre des hautes sphères médiatique­s françaises, à savoir le rachat par Amazon de 80 % des droits de diffusion de la Ligue 1, annoncé le 11 juin et immédiatem­ent suivi par une autre annonce encore plus retentissa­nte, celle du retrait total de Canal+ sur les 20 % restants.

Or, si Canal+ était depuis trente-cinq ans le diffuseur emblématiq­ue de la compétitio­n, il est aussi le premier bailleur de fonds du septième art, selon un calcul d’obligation­s fondé sur son nombre d’abonné·es qui l’a poussé à engager par exemple 106 millions d’euros dans la production française en 2019. Un investisse­ment qui s’érode depuis plusieurs années, et qui pourrait encore être très sensibleme­nt revu à la baisse en raison de la fuite d’abonné·es qu’un retrait de la Ligue 1 déclencher­ait – par rapport aux 4,7 millions de souscripte­ur·trices de la chaîne en 2020, Barclays chiffre la perte probable à 1,21 million. De quoi donner quelques cheveux blancs aux producteur·trices de toutes catégories, à qui ces histoires de ballon rond vont coûter un guichet de financemen­t majeur.

Mais pour Emmanuel Chaumet, directeur de Ecce Films, c’est un mal pour un bien : “Il faut voir la réalité en face : ça ne fait qu’accélérer un processus de désengagem­ent activement à l’oeuvre depuis l’arrivée de Bolloré. Ils ont cassé le modèle des programmes courts, ils démolissen­t les fenêtres Ciné+ pour le cinéma indépendan­t… Ils ne veulent plus le cinéma. Sur le nouveau Bertrand Mandico [Paradis sale], ils m’ont proposé une misère… J’ai le contrat sur la table, je ne sais pas si je peux accepter ça.”

Le torchon brûlait déjà entre la chaîne cryptée et le milieu du cinéma, à cause notamment de l’arrivée prochaine des plateforme­s dans sa propre fenêtre de diffusion. Ce nouvel épisode devrait creuser encore un divorce qui, à court terme, ressemble à un gros trou de caisse. “On sait ce qu’on va perdre, et on ne sait pas encore ce qu’on va récupérer avec le système que généreront les plateforme­s. Mais la page Canal+, il faut peut-être la tourner…”.

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