THE APPLE DROP de Liars
Formé en 2000 à Brooklyn, le groupe est depuis devenu l’affaire du seul Angus Andrew, qui inaugure une nouvelle ère, entre quête d’un certain classicisme et expérimentation débridée.
Fondé à New York en 2000, à l’aube d’une déferlante néorock mondiale, Liars a toujours nagé à contre-courant. Mené par le géant australien Angus Andrew, le groupe à géométrie variable n’a tutoyé la tradition post-punk de Manhattan que le temps d’un album : l’incroyable They Threw Us All in a Trench and Stuck a Monument on Top (2001). En neuf sorties, il a exploré des territoires sonores inédits entre rock, new wave et electronica, réussissant à chaque fois l’exploit de se réinventer en proposant une musique savante mais jamais abstraite.
Recentré depuis TFCF (2017) autour du seul Angus Andrew, Liars revient avec un disque marquant une nouvelle ère. Empreint d’une certaine quête de classicisme, The Apple Drop conserve sa signature entre musique électronique et sonorités organiques. Mais ici secousses noise et techno dada laissent place à une production puissante et un songwriting léché, servi par les talents vocaux de l’Australien. Ainsi, dès l’introductif The Start, Liars évoque le crépusculaire Blackstar de David Bowie. Sekwar et son spoken word habité titillent les climats d’un Kid A embaumé par Nick Cave, quand le cinématographique Star Search piétine les plates-bandes de Trent Reznor et Atticus Ross. My Pulse to Ponder est une jolie madeleine de Proust envoyée aux nostalgiques de Mr.Your on Fire Mr. et prouve qu’Andrew est conscient de l’endroit particulier où se trouve actuellement sa carrière, vingt ans après ses débuts. Avec ce dixième album, le musicien s’offre une porte de sortie idéale en se montrant capable de conquérir un public habitué à un rock racé et sombre tout en ne se coupant pas de l’avant-garde qu’il a dominée pendant toutes ces années. Le surréaliste et légèrement déviant New Planets New Undoings, en titre conclusif, prouve que la folie psychédélique de Liars a encore de beaux jours devant elle. Tant mieux pour nous.
Par le passé, Josh Lloyd-Watson et Tom McFarland flirtaient sans limite avec la néosoul, empruntaient leur suavité à une sorte de croisement entre The Polyphonic Spree et Stevie Wonder, et trouvaient dans le sample une source d’inspiration qui faisait tout le charme de For Ever, leur deuxième album. Entretemps, les Londoniens semblent s’être plongés dans le disco et toute cette extravagance, cette science du groove arrondi et des mélodies clinquantes ne sont visiblement pas tombées dans l’oreille interne de deux sourds : les quatorze titres réunis sur Loving in Stereo portent le joug joyeux de cette époque révolue, mélange d’orchestrations gracieuses et de rythmiques électroniques, de maniaquerie et de lâcher-prise.
De Keep Moving, premier single en forme d’ascenseur vers l’extase, à l’ultime Can’t Stop the Stars, cette musique est tellement dansante qu’elle devrait être commercialisée avec un certain nombre de mises en garde. Sa densité, son immédiateté pop et sa production chaleureuse peuvent mener rapidement à l’euphorie sous la boule à facettes.
“Toute notre musique est basée sur le groove, donc nous avons tendance à vouloir bouger grâce à elle”, nous expliquent les deux comparses. Keep Moving est en cela exemplaire : “C’est le single que nous rêvions de faire depuis des années, il incarne l’archétype du son Jungle. Tout simplement parce que c’est un morceau de dance music, mais pas dans le sens où il emprunterait ses codes à la techno ou aux clubs. On a toujours souhaité qu’il ait cette fibre funk.”
À écouter Josh Lloyd-Watson et Tom McFarland, on comprend que les sessions d’enregistrement de Loving in Stereo ont été une cour de récréation où disco, funk et textures électroniques ont pu fricoter ensemble, se nourrissant les uns des autres, sans calcul, ni cynisme. C’est un album sur la fête, ses engagements et ses utopies que l’on tente de prolonger le plus longtemps possible, sans se soucier une seconde des premières lueurs du jour.
“La danse, c’est un peu comme le football, osent-ils métaphoriser. Elle rapproche les gens d’une manière étrange et paraît être fondamentale pour les êtres humains. Ce rythme interne, les battements du coeur, c’est ce qui nous maintient en vie et unit réellement les peuples.” No Rules dit l’un des morceaux. C’est partiellement faux à l’écoute de ces chansons, qui en disent long sur le nombre d’albums hérités des seventies qui doivent traîner dans les ordinateurs de ce duo débordant d’idées et d’envies. C’est en partie vrai également à l’écoute de Loving in Stereo : un disque qui invite à l’abandon, à capituler face à tant de refrains fédérateurs qui laissent entrevoir ce qu’aurait donné Joseph Mount s’il avait opté pour les costumes pailletés plutôt que pour la langueur de la riviera anglaise.