BAW BAW BLACK SHEEP de Rejjie Snow
Le rappeur irlandais continue de creuser le sillon d’un hip-hop organique et introspectif, qui lorgne toujours du côté de la soul.
Au moment de clore l’histoire qui vient de nous être contée, un mantra tout simple se répète inlassablement sur le dernier morceau de Baw Baw Black Sheep : “Je veux simplement être moi.”
Envisagé comme un conte qu’on lirait à un enfant pour l’endormir – le rappeur irlandais vient de devenir papa –, le second album de Rejjie Snow est un récit initiatique et introspectif qui défend les mêmes valeurs d’honnêteté et de bienveillance que son prédécesseur, le langoureux Dear Annie.
Dans ses ambitions de conteur, ses influences théâtrales qui affleurent et la multiplication de voix et de bruits cartoonesques, Baw Baw Black Sheep
prend la suite du premier LP de Rejjie. Mais là où Dear Annie faisait des appels du pied à la musique française (bien aidé par Lewis OfMan), ce nouveau disque lorgne définitivement vers la musique gorgée de soul des Native Tongues (A Tribe Called Quest, De La Soul). Une direction qui n’est sûrement pas étrangère à la présence du versatile producteur et chanteur américain Cam O’bi – déjà présent au générique de Dear Annie – et du producteur Dee Lilly.
Cette oeuvre d’un trio qui ne dit pas son nom permet aux trois comparses de satisfaire leur amour commun des synthés analogiques, des boucles soul et des percussions organiques à la manière de Tyler, the Creator. Le spectre de l’ex-Odd Future semble d’ailleurs planer sur l’ensemble du disque ; dans les vélléités pop du trio ( Disco Pantz, Shooting Star, et surtout Mirrors qui évoque le See You Again de Tyler), dans sa manière de convoquer les idoles de jeunesse (le regretté MF DOOM sur Cookie Chips) et même dans la voix nonchalante et caverneuse de Rejjie Snow.
Malgré leur amour partagé pour l’aspect théâtral de sa musique, Rejjie Snow troque la capacité d’incarnation d’un Tyler pour une plongée introspective – plus proche d’Earl Sweatshirt, par exemple. Entre field recording et inspirations tout droit issues de la Library Music, le Dublinois et ses comparses offrent un parfait écrin aux histoires personnelles de Baw Baw Black Sheep. C’est là toute la saveur de cet album qui cultive son insouciance, sa frivolité presque. Un disque de chevet au premier sens du terme, de ceux qu’on peut écouter distraitement ou consciencieusement, pour s’endormir ou veiller tard, sans jamais s’en lasser.
Derrière ce pseudo de lady solitaire se cache Julie Campbell, rousse androgyne originaire de Manchester, ou plutôt de Madchester, tant sa musique évoque les grandes heures de l’Haçienda. Repérée dès 2009 par le pointu label Warp et signée illico, la compositrice et productrice a peaufiné sur ses deux premiers albums un son anguleux, tendu, glacial et pourtant irrésistiblement dansant, qui rappelait à notre bon souvenir A Certain Ratio, The Au Pairs, Gang of Four ou encore The Slits. Sur Former Things, son troisième long format, elle poursuit cette voie avec un savoir-faire sans cesse renouvelé, puisant aujourd’hui dans la sensualité du r’n’b et dans l’electro des pionniers. Accompagnée d’une ribambelle de boîtes à rythmes et de synthés vintage, sans complètement remiser au placard sa guitare nerveuse, LoneLady montre autant de dextérité dans ses beats que dans ses mélodies et son chant très personnel, à la fois distant et charnel. Pour réaliser les huit nouveaux morceaux qui constituent cet album palpitant, la musicienne a eu envie de changer de décor. Alors que ses albums précédents avaient été conçus en banlieue industrielle de Manchester, c’est à Londres, plus précisément dans le bâtiment historique de Somerset House (où PJ Harvey a enregistré son dernier album en date), qu’elle a installé son studio. Le processus s’est déroulé principalement entre fin 2016 et 2018, pour se conclure fin 2020 lors d’une série de sessions d’échanges via Zoom, pandémie mondiale oblige, avec Bill Skibbe (qui avait déjà coproduit Hinterland avec elle en 2015).
En guise d’introduction, The Catcher met la barre haut avec son riff post-punk cinglant, ses rythmiques obsédantes et cette voix aiguisée scandant “I’m a razor” (“Je suis un rasoir”) sur des bruitages métalliques qui donnent le frisson. La suite garde ce même niveau d’excellence, instauré par cette artiste surdouée, affûtée au cran d’arrêt.
De cette scène hexagonale documentée par Hedi Slimane au cours des années 2010, Marc Desse n’est pas le plus prolifique, mais le rock sombre et romantique de Nuit noire (2014), son premier essai, avait marqué le styliste français. qui l’avait immortalisé, avec lunettes noires et Perfecto de rigueur, sur la pochette du maxi Griffith Park l’année suivante. Après une tentative avortée avec Frédéric Lo (arrangeur et producteur du Crèvecoeur de Daniel Darc), dont il subsiste une seule composition à quatre mains (Si tu veux), le chanteur franco-espagnol retrouve le multi-instrumentiste Gaël Étienne (Lescop, Requin Chagrin) pour réaliser ce second album qui, malheureusement, n’a pas trouvé l’oreille attentive d’un label alerte. Achevé depuis des mois, sinon une paire d’années, ce disque éponyme continue de tracer un sillon à la Taxi Girl, particulièrement prégnant sur Paris je t’aime (le miroir inversé de Paris du groupe de Mirwais, une déclaration d’amour écrite après les attentats de 2015) et Je ne pars pas sans amour (la suite possible de Pars sans te retourner de Daniel Darc). S’il ne renonce pas à quelques incursions synthétiques ( Les Étoiles, parfait exercice de style neworderien en français), Marc Desse aurait pu dérouler autrement son album, pour rendre grâce à cette poignée de chansons entêtantes qui méritent autant une exposition radiophonique
que scénique.