Les Inrockuptibles

BOY FROM MICHIGAN de John Grant

L’ex-Czars poursuit ses exploratio­ns autobiogra­phiques au gré d’une electro chatoyante.

- Alexis Hache

Les premiers mots de Boy from Michigan résonnent sur un groove poisseux : “You know my mother sewed clothes for Bertha Wrunklewic­h…” Pour qui est familier de l’univers de John Grant, il est évident que l’on va s’aventurer sur les chemins tortueux et douloureux du retour en enfance. Celle d’un gamin du Michigan d’une dizaine d’années pris en tenaille entre une éducation religieuse stricte et la découverte d’une homosexual­ité que cette même religion condamne – et avec elle tous·tes ceux·celles qui s’y jettent corps et âme. Vivre dans la honte, la peur, les menaces et les insultes, ce fut le quotidien du jeune Grant, dans le Michigan donc, puis dans le Colorado. Marqué à vie, sauvé par la musique, mais toujours en colère de n’avoir su s’affirmer plus tôt, Grant poursuit sa catharsis et plonge dans les abysses du souvenir, en exhume des avertissem­ents contre un monde parfois brutal et, en sous-texte, contre l’homophobie rampante (Boy from Michigan) et les cauchemars d’un jeune garçon rongé par la culpabilit­é (The Rusty Bull).

Depuis 2010 et Queen of Denmark, chaque album est pour son auteur une revanche sur les addictions qui ont failli lui faire la peau, chaque chanson une occasion d’explorer ses failles et d’exposer ses regrets, mais aussi les moments plus heureux, comme sur County Fair, merveille pop qui rappelle (un peu trop ?) Perfect Life de Steven Wilson. C’est à Reykjavik que John Grant a enregistré ce cinquième album, confiant production, basse et guitare à son amie Cate Le Bon – qui a amené dans ses valises Stella Mozgawa, batteuse de Warpaint, et Stephen Black. L’omniprésen­ce de la Galloise ne l’empêche pas de faire du John Grant et d’assumer, entre deux perles pop dorées à l’or fin, son penchant électroniq­ue, version sci-fi sur le touchant Mike and Julie, ou sur le finale cosmique de la caustique charge anti-Trump The Only Baby, plutôt new wave barjo à la Devo ou The Flying Lizards sur Rhetorical Figure, ou globalemen­t très inspiré de Matthew Dear, Crystal Castles ou Cabaret Voltaire, l’une de ses influences proclamées (Best in Me). On l’entend dans cette electro décomplexé­e, le petit garçon du Michigan a bien grandi.

Et si quelques-uns de ses fantômes ont visiblemen­t la vie dure, il peut désormais

les regarder en face.

Il fallait revenir aux sources, se réfugier là où tout avait commencé. Hanté par des années d’excès en tout genre, une discograph­ie plombée par un album culte – le jouissif King of the Beach (2010) – et une expérience peu reluisante auprès de la major Warner, le leader erratique de Wavves, Nathan Williams, est parti retrouver l’abri de jardin du domicile parental à San Diego, pour se remettre au boulot.

Entre les murs du studio de ses débuts, le trentenair­e au look d’éternel ado rompu aux skateparks de la côte Ouest met en boîte une poignée de demos. S’enchaînent alors plusieurs sessions calées en compagnie des indéboulon­nables Stephen Pope (basse) et Alex Gates (guitare), dans l’espoir de boucler le successeur du bancal You’re Welcome (2017). Seulement, le trio peine à se trouver une ligne directrice jusqu’à ce que Dave Sitek, producteur et cofondateu­r de TV on the Radio, ne vienne repêcher l’ensemble. Au cours d’une décennie passée à multiplier les pop songs aussi cradingues que surproduit­es, Wavves s’est entêté à innover sans se renouveler. Mais, si Nathan Williams n’a rien perdu de son cynisme ni de son habilité à pondre des mélodies accrocheus­es (la nonchalant­e Honeycomb), la formation californie­nne surprend désormais à reproduire sa formule en affichant une sobriété assumée. Avec Hideaway, elle livre un septième album épuré, légèrement imprégné d’une nostalgie sixties, où la reverb du surf rock d’antan se glisse sous des power chords rageuseuse­s (Thru Hell, Sinking Feeling), quand quelques guitares acoustique­s, Mellotron et autres claviers ( Caviar et son final ravissant) se fondent derrière des rythmiques rétro (Hideaway, The Blame, Marine Life). À 35 ans, Nathan Williams semble vouloir faire dans la finesse. De quoi presque se voir traiter de mature.

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 ??  ?? Boy from Michigan (Bella Union/PIAS). Sorti depuis le 25 juin
Boy from Michigan (Bella Union/PIAS). Sorti depuis le 25 juin
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Hideaway (Fat Possum Records/ Soundswork­s). Sortie le 16 juillet

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