BONNE MÈRE de Hafsia Herzi
L’actrice et cinéaste confirme son talent avec ce portrait de figure maternelle sacrificielle dans une cité de Marseille.
Il faut attendre l’avant-dernier plan de Bonne Mère, et voir apparaître un oiseau en cage, pour bien se persuader que le film que l’on vient de regarder, le second de sa réalisatrice après la percée de
Tu mérites un amour (2019), n’était pas juste un feel good movie sur une famille habitant une cité de Marseille. De même, cette ville, si prégnante dans le bagou des personnages, on l’entraperçoit à peine. Et il faudra patienter longtemps avant de voir la Méditerranée.
En somme, Hafsia Herzi n’est pas vraiment là où on l’attend. Ce n’est ni un film solaire, ni un film de galère. Un film d’amour, peut-être. Et encore. Mais l’amour qui sort du champ amoureux pour forer ici la puissance des attaches familiales.
Cette famille, c’est celle de Nora, une femme extraordinaire (la force tranquille de Halima Benhamed). On connaît ces portraits de saintes mémorables, comme chez Rossellini ou De Sica. Herzi filme sa vie comme une succession de tâches ingrates, entre son travail
– elle est agente de propreté dans un aéroport – et un modeste foyer où elle fait la bonne pour ses quatre enfants et petits-enfants. Les pères ? Inexistants. Son deuxième fils ? En prison.
C’est une vie qui commence et finit dans les transports. Une vie de galérienne. Mais Nora ne bronche pas et éclaire le film de sa bienveillance avec tous·tes – collègues, famille, une dame âgée dont elle s’occupe bénévolement. Bonne Mère est comme une tentative de dessiner et circonscrire les limites de cette sainteté. On se demande sans cesse quand le vernis de cette effigie va craquer, mais il ne craque pas. Et la caméra de Herzi est aussi aspirée par la puissance d’abnégation de cette mater dolorosa, dont elle interroge les ressorts sacrificiels. Quand don de soi et dépouillement deviennent un piège. En contrepoint de ce portrait, Herzi décrit un conflit entre générations. Les enfants ne veulent pas faire le dos rond et cherchent l’argent facile qui sauve (petit banditisme, prostitution). Si l’on veut comprendre le point de rupture entre “jeunes” et “vieux” dans une famille dysfonctionnelle issue de l’immigration, il faut voir ce film qui révèle tout sans jamais rien expliquer. Aux grands constats sombres, la cinéaste préfère la lumière ; la chaleur d’un repas partagé ; l’étreinte entre une mère et son fils. Mais la mise en scène se passe à huis clos et raconte un monde compartimenté, fait de vitres et de grillages. Ne pas se tromper donc sur les sourires du film. Ils sont une manière de survivre dans un monde privé d’horizon. La petite fille de Nora, si gracieuse a l’écran et la dernière de cette filiation, pourra-t-elle tout changer ?