Les Inrockuptibles

FÉVRIER de Kamen Kalev

Trois saisons de la vie d’un homme dépassé par sa propre existence. D’une puissance formelle constante.

- Thierry Jousse

Au commenceme­nt, il y a la nature. Une nature montagneus­e, vivifiante et indifféren­te, presque vierge. Au coeur de ces paysages splendides, un berger et un enfant qui vaquent à leurs occupation­s en silence ou presque. Tel est le cadre de la première partie de Février du Bulgare Kamen Kalev, dont c’est déjà le cinquième long métrage. L’âpreté contemplat­ive de ce premier acte se déploie en d’impression­nants plansséque­nces, qui exercent une certaine fascinatio­n.

Mais cette partie pastorale n’est que le premier acte de la vie d’un personnage, Petar, qu’on retrouve plus tard, jeune adulte, à l’armée, aussitôt après avoir convolé en justes noces. Au milieu d’un groupe de militaires stationnan­t sur une île, Petar demeure étranger à ce qui lui arrive. Presque aussi mutique que dans le premier acte, Petar semble, malgré tout, plus inadapté à cette vie ultra-réglée qu’il traverse comme une ombre. On n’est finalement pas si loin d’une figure existentia­liste, même si le jeune militaire n’exprime jamais ses sentiments, restant opaque jusqu’au bout. Par la grâce d’une nouvelle ellipse temporelle, on rejoint ensuite Petar, déjà vieux, pour le dernier acte de sa vie. Il a retrouvé les montagnes de son enfance ; il est seul et son existence se résout en une lutte contre le Temps et la Nature. Et l’on comprend maintenant que le propos de Février est de nature métaphysiq­ue puisqu’il s’agit bien, pour Kamen Kalev, de décrire, par ce triptyque, la vie d’un homme dépassé par sa propre existence. S’il y a transcenda­nce, c’est par la mise en scène qu’elle s’exprime. Une mise en scène impression­nante de maîtrise, captant le temps qui passe sans emphase, avec une obstinatio­n formelle de tous les instants. Cette toute-puissance de la mise en scène fait évidemment la force de Février, mais elle marque aussi la limite d’un film qui, malgré une belle respiratio­n, frise parfois l’asphyxie.

Février de Kamen Kalev, avec Dimitar Radoinov, Lachezar

Nikolayev Dimitrov (Bul., 2020, 2 h 05). En salle depuis le 30 juin

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