Les Inrockuptibles

MARGEM de Victor Hugo Pontes

Le metteur en scène portugais signe un manifeste dansant, utopique et politique, sous la lointaine égide de Jorge Amado.

- Philippe Noisette

Dès l’entrée du public dans le théâtre, les basses des musiciens Marco Castro et Igor Domingues grondent. Sur le plateau, une foule enfantine s’ébroue à l’ombre d’un arbre factice. Difficile, pour autant, de reconnaîtr­e le décor du roman de Jorge Amado publié en 1937 : Capitaines des sables, qui a néanmoins servi de trame lointaine à Margem, spectacle ébouriffan­t de Victor Hugo Pontes. Amado y contait le quotidien d’une bande d’enfants abandonnés dans les bas-fonds de Bahia. Un peuple de l’ombre avec ses règles, les véritables “maîtres de la ville”. Margem réunit une douzaine de jeunes interprète­s – ainsi que de jeunes figurant·es choisi·es dans chaque ville d’accueil – qui, par le verbe ou par le geste, vont donner corps à l’utopie d’Amado.

“Au-delà du roman, il y a la matière que nous avons réunie avec Joana Craveiro

[autrice du texte], à base d’entretiens menés avec des enfants orphelins ou isolés au Portugal. Puis se sont ajoutées les discussion­s avec les acteurs enrôlés dans l’aventure. Nous avons fini par une résidence d’une semaine où nous mangions et habitions ensemble. Une famille s’est alors constituée”,

raconte Victor Hugo Pontes.

La forme de Margem a peu à peu émergé, déclamatio­ns entrecoupé­es de chorégraph­ies sous influence capoeira ou hip-hop. Le résultat, plus que séduisant, sidère par la virtuosité affichée de cette compagnie de “fortune”. “Le plus surprenant reste à mes yeux la façon qu’ils ont eu d’adhérer au projet, cette manière de tout donner sur scène.” Margem questionne aussi bien l’intimité que l’amour ou la mort. “Et la famille. C’est primordial dans la constructi­on d’une personne, les racines de ta personnali­té sont là.”

Mais comment faire lorsque l’on n’a ni père ni mère ? L’utopie mise en mouvement par Victor Hugo Pontes devient dès lors une fraternité bordélique. On s’aligne sur le devant du plateau pour déclamer dans une langue entre slam et poésie. On s’invective parfois. Les duos finissent en duels, les courses paraissent sans fin, les matelas posés au sol deviennent des murailles ou des îlots. La musique fait le reste, caressant les corps. L’adolescenc­e selon Margem doit s’inventer un futur dans un monde qui, déjà, rejette les différence­s. Dans le roman de Jorge Amado, un prêtre, José Pedro, rêvait pour ces enfants d’une vie meilleure. La révolution, s’il y en a une, se fera avec eux, pas sans eux. Margem ne s’interdit rien. Surtout pas l’irrévérenc­e.

“Avez-vous compris ce que nous venons de vous dire ? clame un des protagonis­tes.

Parce qu’on ne va pas le répéter !” Puis de nous tourner le dos. “Nous parlons avec ce spectacle des choses qui sont à la marge, et nous essayons de les ramener au centre avec l’envie de dire : ‘Regardez maintenant, arrêtons de nous cacher !”

Victor Hugo Pontes s’émerveille de ces jeunes interprète­s. À ce prix, Margem

est devenu une utopie en dansant.

Margem texte Joana Craveiro, mise en scène Victor Hugo Pontes (en portugais surtitré français), 20 et 21 juillet, Théâtre des Abbesses, Paris

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