FATIGUE de L’Rain
Architecte d’une néosoul aussi expérimentale que merveilleuse, la NewYorkaise Taja Cheek explore les méandres de sa psyché et les maux de notre époque.
“Souffrez- vous de fatigue ? Fatigue chronique ? Fatigue passagère, permanente ? […] De fatigue liée au Covid, aux règles, à la mysoginoir ? […]
Savez- vous comment changer, comment se pardonner, trouver la paix ?” C’est par cette longue liste de questionnements, postée en mars dernier sur son compte Instagram, que Taja Cheek a amorcé l’arrivée prochaine de son deuxième album, Fatigue.
Quatre ans après s’être aventurée dans les profondeurs du chagrin et du deuil sur un premier disque hanté par la disparition soudaine de sa mère Lorraine – à qui elle emprunte son nom de scène –, la multi-instrumentiste de Brooklyn engage à présent une réflexion autour de cette notion de changement, déchirée entre résilience et lassitude. Dans un monde harassé par les morts successives, le racisme, les violences policières, les dérives sécuritaires, le sexisme et les inégalités sociales qu’une épidémie mondiale ne cesse d’accroître,
Fatigue est conçu comme une introspection personnelle à résonance universelle. “What have you done to change?” sont les derniers mots, laissés en suspens, du morceau d’ouverture Fly, Die. S’ensuit une plongée fulgurante dans un maelström sensoriel et spirituel, autant nourri par le jazz et le gospel, qu’alimenté d’enregistrements captés sur le vif, de bandes passées à l’envers ou d’autres collages sonores. Au croisement du psychédélisme de Flying Lotus et son démentiel You’re Dead! (2014), des expérimentations de Dirty Projectors et de la dream pop de Cocteau Twins, la New-Yorkaise excelle à produire une bande-son où s’entrechoquent ses émotions conflictuelles. Tout est donc question de contraste et d’ambiguïté : l’instrumentation organique se fond dans de multiples programmations, et les nombreuses envolées oniriques, souvent couplées à de superbes harmonies vocales, se veulent aussi sublimes (Blame Me, I V) que menaçantes (Suck Teeth, Take Two), voire totalement effrayantes (Kill Self). Aucun sentiment n’est à minimiser. L’Rain a tout à y gagner.