BENEDETTA de Paul Verhoeven
En racontant la vie d’une nonne lesbienne au XVIIe siècle, Verhoeven filme la chair et l’extase – et continue d’emmêler les liens entre simulation et vérité.
Difficile, au premier abord, de ne pas voir, dans les rires qui s’empareront forcément des spectateur·trices lors une scène – déjà culte – de sextoy qu’on trouve dans Benedetta, une volonté de “choquer le·la bourgeois·e”. On pouvait déjà la déceler dès le projet initial du film, l’adaptation de Soeur Benedetta, entre sainte et lesbienne de Judith C. Brown (Gallimard, 1987), qui retrace la vie de la nonne italienne Benedetta Carlini, vraie fausse mystique et lesbienne, autoproclamée “fiancée du Christ”, finalement condamnée à trente-cinq ans de réclusion pour fraude et conduite immorale. Et pourtant, l’humour potache et la charge anticléricale sont sans doute les pistes les moins intéressantes pour appréhender le film.
Non, l’essentiel n’est pas là, il se trouve dans cette envie de Verhoeven de faire ce qu’il a toujours fait : retourner comme un gant un imaginaire donné (ici, l’austérité d’un couvent du XVIIe siècle) ; gratter la surface jusqu’à tomber sur une vérité première, tout à la fois magique et organique : les convulsions de la chair. Si bien que le sextoy est, comme un talisman très premier degré, le lieu d’un passage menant aux puissances hallucinées du récit verhoevenien qui s’enclenche quand une femme commence à prendre son pied
– rappelons les deux scènes de viol dans Elle (2016) et La Chair et le Sang (1985), et la réaction inattendue des deux héroïnes qui, littéralement, allumaient la mèche du récit. Extase = fiction : soulever la chair, c’est soulever les images. Dans sa grande densité narrative, Benedetta égrène plusieurs fausses pistes : troublante prophétie de la crise sanitaire, satire anticléricale, fable féministe, adaptation détournée d’une Vie de Jésus que le cinéaste n’a jamais réussi à adapter, sinon en livre en 2008 ( Jésus de Nazareth, publié en France en 2015 aux éditions Aux forges de Vulcain). On peine pourtant à y déceler une nette logique discursive, puisque celle-ci appartient à un ordre rationnel que la filmographie de Verhoeven a toujours battu en brèche. Au discours, le cinéaste préfère les questions irrésolues : Benedetta est-elle une mythomane manipulatrice ou une grande prophétesse ? En laissant cette question en suspens, Verhoeven redit que la fiction est, par-delà le rationnel, un théâtre de la cruauté essentiellement cathartique – et il l’énonce toujours avec la complicité de ses héroïnes, magiciennes ou sorcières, mais toujours gardiennes du fictif dans ce mélange indémêlable de sincérité et de simulation.
À ce titre, Benedetta est, comme Showgirls (1995) ou Black Book (2006), une énième démonstration que la féminité n’est qu’un grand spectacle, ici une flamboyante boucherie qui décline tous les états de la viande humaine : orgasmes, seins nécrosés ou chargés de lait, auto-flagellation, peste noire, défécation, stigmates, corps carbonisés ou tortures gynécologiques – extases et supplices d’un corps féminin que l’on suspecte de simuler et qui doit cracher sa vérité. Et pour survivre dans ce monde il faut, comme Benedetta, être une actrice puissance mille, une surfemme qui, comme la Sharon Stone de Basic Instinct (1992), regarde les autres la regarder. Sauf – c’est là que l’hypothèse de la fable féministe prend le dessus – dans le secret de sa chambre, coulisses dérobées aux regards inquisiteurs du monde, où elle dit enfin sa vérité. Sous les gestes habiles de son amante Bartolomea, elle arrête enfin de simuler.
Benedetta de Paul Verhoeven, avec Virgine Efira, Charlotte Rampling,
Daphne Patakia (Fr., 2020, 2 h 06). En salle le 9 juillet