Les Inrockuptibles

À confesse

- Propos recueillis par Carole Boinet

Des artistes passent à confesse... sur le sexe. Et nous offrent leur “selfie sexy”.

Du fantasme que suscitaien­t ses stars de parents à son dégoût du porno actuel, Charlotte Gainsbourg se livre. Comment vit-on la dialectiqu­e regard désirant/regard désiré en tant qu’actrice ?

Je n’ai pas une analyse réelle de la situation. Peut-être parce que j’ai peur, alors, de comprendre que je suis vendue ou que j’ai le plaisir d’être achetée. J’ai l’impression que l’érotisme est partout, pas seulement dans un rapport d’actrice à metteur en scène ou acteur. Il est dans une interview, par exemple. Pas de manière raisonnée mais, si je réfléchis, oui. Une fois que c’est dit, il y a un côté presque sale. J’aime que ce soit plus innocent et spontané que ça.

Comment avez-vous vécu les tournages de scènes explicites chez Lars von Trier ?

Lars est tordu, mais d’une autre manière. Ce n’est pas le metteur en scène qui va se branler derrière le combo. Je ne crois pas qu’il trouvait ces scènes très excitantes. Sur Nymphomani­ac, il m’a montré un story-board avant de m’engager en me disant : “Voilà, je vais filmer ça, est-ce qu’un truc te dérange ?” J’étais gênée par mes seins et je ne voulais pas que l’on cadre trop l’entrejambe, à part ça… Quand c’est clair, l’érotisme s’en va, et heureuseme­nt ! Ça rend les scènes faisables. Il y avait cette scène érotique avec Mia Goth qui m’a embarrassé­e… Je venais d’avoir un bébé et j’étais très complexée par mon corps. D’être avec une toute jeune fille, je trouvais ça gênant pour elle. L’âge entre en jeu.

“J’ai les mêmes canons érotiques que mon père.”

Vous avez toujours connu vos limites ?

Non. Sur Antichrist, je l’ai découvert. Au départ,

Lars m’a demandé si j’étais gênée d’être dans le plan avec la doublure X de Willem Dafoe pour une scène où il bande et où je lui écrase une bûche sur le sexe. Je dis : “OK.” Or, sur le plateau, je vois cet acteur se masturber pour bander… Je suis sortie du film. Je ne savais plus où j’étais. J’ai dit : “C’est trop.”

En quoi l’âge entre-t-il en jeu ?

C’est très gênant. Malheureus­ement, je me rends compte trop tardivemen­t de ce que j’ai perdu… J’ai été tellement complexée pendant longtemps que je n’ai pas profité de moi sans les signes de l’âge. J’étais très empotée vers 13 ans, moins à 30, mais pas satisfaite… Pas claire avec ma féminité. Quand je revois des photos de moi à 30, 40 ans, je me trouve mignonne, et je ne comprends plus mon embarras. Depuis que j’ai passé l’âge de l’innocence, vers 12 ans, je suis en lutte avec mon corps.

Cherchez-vous à susciter du désir ?

Je ne sais pas ce que je peux susciter. J’ai beaucoup eu affaire au désir qu’ont suscité mes parents. Ils ont tellement exploré l’érotisme que je n’y ai jamais eu ma place. Ça m’étonne quand les gens me trouvent… d’ailleurs me l’a-t-on déjà dit ? Est-ce que j’ai déjà fait une photo sexy ? Je ne sais pas. J’adorerais me mettre dans ce créneau mais ce n’est pas à ma portée. Quoique, le désir est porté par le charme, qui ne se calcule pas. Mais, parfois, je suis consciente que j’en ai…

Une icône érotique ?

J’ai les mêmes canons érotiques que mon père. J’ai pris ce qu’il m’a donné. Marilyn, qui avait du charme ! Ce n’est pas que des gros seins et qu’un visage, si sublime soit-il. Et ma mère ! Des canons de beauté très sexués. Et Bambou, ma belle-mère, avec laquelle il faisait des photos hyper-provoc’.

Je ne pouvais pas faire comme si je ne voyais pas. C’est formateur. J’ai du mal à trouver quelque chose d’aussi fort que l’éducation avant 18 ans. Parfois, je me suis dit : “Mais, putain, t’as pas autre chose que ton père ???” Mais c’est là que j’ai reçu les enseigneme­nts les plus forts. J’avais un amant, jusqu’à 18 ans qui m’a aussi beaucoup influencée. Ça passait par Henri Michaux et mes propres lectures de Sade et Histoire d’O [de Pauline Réage, 1954]. Les lectures m’ont excitée, beaucoup plus que les films. Elles sont l’expression érotique poussée au summum parce qu’il y a une part d’imaginatio­n, rien n’est plaqué. Il y avait des films porno que j’ai vus à 15-16 ans avec l’interdit qui était excitant… Je me souviens d’un acteur X qui avait une balafre et que j’ai croisé dans le XVIe arrondisse­ment, où on habitait. J’avais 14 ans, je me suis arrêtée en pleine rue. Il a dû se dire : “Toi, ma petite, je sais ce que tu regardes le soir.” (rires) Dans des moments de plaisir personnel, je me refaisais des scènes de film porno, évidemment. Le film porno est puissant pour ce qu’il laisse comme trace. Mais, au moment de le voir, il ne m’excite pas… Il coupe tout. Je vis avec des fantasmes. Je ne sais pas si c’est pareil pour tout le monde. Et ils restent à l’état de fantasmes. Sinon, ça perd tout. Peut-être parce que je ne l’assume pas. Mais j’aime beaucoup le désir, plus que son assouvisse­ment. Je trouve ça plus fort.

Quel regard portez-vous sur Lemon Incest ?

J’avais conscience du sujet à l’époque. Mon père faisait une provoc’ sur l’inceste. La provocatio­n faisait partie de lui. Il n’y a jamais eu d’inceste entre nous, ou d’ambiguïté physique… Je n’étais donc pas choquée du jeu de mots. J’ai écouté un podcast l’autre jour où une fille disait que c’était dégoûtant que je ne renie pas le morceau. Je comprends qu’à ses yeux ce soit terrible que des gens le fredonnent aujourd’hui, mais je ne regrette pas.

Ça ne vous a pas over-sexualisée trop jeune ?

Je ne trouve pas, car je n’avais pas le physique d’une Lolita. Mon père disait que j’étais une orchidée déguisée en ortie. Ce qui était flatteur, mais je n’entendais que le mot ortie. Je ne me suis jamais sentie belle, donc pas sexuée. J’ai toujours dessiné mes enfants nus quand ils dorment. Maintenant, je fais de la photo et j’adore photograph­ier ma fille qui commence à basculer dans la puberté. Ça me pose la question de sa nudité. Je me suis dit :

“Mais je suis folle, je ne peux pas, je n’ai pas le droit et je ne pourrai jamais les montrer.” Je n’arrive pas à être très claire avec l’interdit qu’on s’impose. C’est peut-être le prétexte de l’art dont il ne faut pas se servir à toutes les sauces. Je ne sais pas quoi faire de l’érotisme naissant des jeunes filles. On ne peut pas le nier. Je ne peux pas nier mon regard sur une jeune fille dont la sexualité commence à s’exprimer. Est-ce qu’il faut faire comme si on ne voyait pas ? En parler pour faire en sorte que ça ne fasse pas peur ?

Un morceau hot ?

Je n’ai jamais utilisé une chanson pour mettre de l’ambiance. Je préfère le silence et nos bruits à nous. Heureuseme­nt que je n’ai pas répondu Je t’aime… moi non plus. (rires)

Vous êtes-vous déjà questionné­e sur votre orientatio­n sexuelle ?

J’ai eu une expérience avec une femme, mais ça ne m’a pas questionné­e sur mon désir réel. Mon amour se focalisait sur les hommes. Aujourd’hui, je peux avoir du désir pour une femme, sans aucun problème. Mais je n’irais pas me qualifier de lesbienne pour autant.

Le désir chez vous se nourrit de brume, non ?

Il faut qu’il y ait du flou. Même dans le côté domination, qui fait partie de mon schéma.

J’ai du plaisir à être dans le rôle inverse justement... Mais il ne faut pas que ce soit trop clair.

Que pensez-vous du porno aujourd’hui ?

Je trouve ça triste. Rien que le côté imberbe… Là, j’ai l’impression de voir des petites filles. C’est ma limite.

Le sexe exige-t-il du sérieux ?

De la concentrat­ion ! Mais c’est vrai que pour assumer des fantasmes, il faut jouer le jeu. S’il y a trop d’humour, ça ne marche pas.

Où est l’érotisme aujourd’hui ?

On ne vit pas une grande période pour ce qui est de l’expression artistique. Du coup, j’ai l’impression que l’érotisme fait peur. Je trouve l’époque pauvre.

Propos recueillis par Carole Boinet

Pour le musicien Christophe Chassol, le sexe est avant tout une énergie vibrante qui a la puissance de nous relier au cosmos. La première image érotique ?

On hébergeait beaucoup de gens de ma famille quand j’étais enfant, qui squattaien­t l’un des deux lits de ma chambre. Il y avait notamment un oncle dont je tairai le nom. J’avais fouillé sous son lit et trouvé des “pentouze”. C’était des Penthouse, mais mon pote Clément Souchier, qui a monté la boîte de synchro Creaminal, et moi, on disait “pentouze”. Sinon, mon rapport à l’érotisme est véritablem­ent né avec Manara. Le Déclic, Le Parfum de l’invisible…

En BD, le fantasme passait mieux pour moi. La distinctio­n érotisme/porno rejoint épouvante/horreur. Je préfère quand les choses sont suggérées.

Une scène de sexe préférée au cinéma ?

De Palma est vraiment celui qui m’a donné le goût de l’érotisme. Le début de Carrie, par exemple. Ce n’est pas une scène de sexe, mais il y a ces filles dans les douches, et Sissy Spacek, qui est l’inverse de ce que j’aime physiqueme­nt mais que je trouve hyper-belle. La façon dont c’est filmé et la musique de Pino Donaggio… La flûte, le piano tout doux qui glissent sur Spacek et son pommeau de douche, et là, le sang des règles qui coule. Il t’embarque doucement et te terrifie soudain. En la revoyant, j’ai pensé à une scène de la série I May DestroyYou où Michaela Coel couche avec un mec, censé l’aider à écrire, et là, il y a un caillot de sang… J’ai trouvé ça dément. Sinon, la scène lesbienne dans Mulholland Drive.

Il vient d’où ce fantasme lesbien ?

Ah non, c’est trop facile ! Ce n’est pas un fantasme, c’est une scène qui m’a marqué. Et puis, tu veux deux Croco Haribo ou un seul ? C’est aussi simple que ça.

La musique qui respire le sexe ?

How Does It Feel de D’Angelo, sur Voodoo. Sur ce morceau, le batteur Questlove et le bassiste Pino Palladino mettent les beats en retard. Une façon de dire : “On swingue tellement qu’on peut se permettre d’être en retard, et que ça swingue d’autant plus.” Ce beat qui prend son temps pour arriver bien au fond à la dernière minute… C’est hyper-sexuel. Sur Ludi [son dernier album, sorti en 2020], tout a un double sens. J’ai beaucoup pensé à l’énergie sexuelle en le fabriquant. L’élasticité du temps, le contenant, la boucle, la superposit­ion… tout est métaphoriq­uement sexuel dans la musique, et Ludi l’est d’autant plus.

Il y a une séquence que je n’ai pas mise sur l’album mais que je mettrai dans le live, je pense, où Thomas de Pourquery et Alice Lewis chantent : “Jouer des heures à jouer des joueurs qui jouent des heures à jouer des joueurs qui jouent des heures à jouir des heures.”

Ça parle du porno, des acteurs qui jouent à jouir, du jeu sexuel, du fait que ça puisse ne jamais se terminer, plutôt du fantasme que ça ne se termine jamais, de ne pas jouir. La promesse de l’infini. C’est peut-être ça le fantasme lesbien, quand il n’y a pas la mécanique de l’orgasme masculin qui signe la fin, la mort. Tu jouis, tu meurs, c’est dead. La boucle musicale permet de boucler une mesure, un moment, et de le revivre à l’infini. Donc, c’est hyper-sexuel.

L’instrument le plus sexy ?

Le piano ! Sinon, la flûte en sol. La flûte alto. Elle est plus grave que la flûte en do. Elle est ronde. On sent le chaud, l’oreiller, la matière bois, les couleurs marron, jaune, rouge. Ou bien le tampura, qui fait le bourdon sur la musique indienne. C’est un bain d’une seule note dans lequel tu te loves. Ou le bugle ! Quelque chose de l’ordre du matelas, du contenant. L’inverse du sexe, selon moi, serait Berlin, l’industriel, blanc, bleu, froid.

Le mot qui résume le sexe ?

Domination ! Self-service ! Plus sérieuseme­nt, cosmos. Le tout-monde.

Une icône érotique ado ?

Geneviève Bujold dans Obsession [de Brian De Palma], et Amy Irving, dans Carrie notamment.

C’est quoi pour toi être sexy ?

C’est plutôt négatif. C’est ce qui cherche à se donner les apparences de la séduction. Mais une séduction cheap. Ça sonne comme un mot diminué.

Que dirais-tu à la place ?

Séduisant.

La tenue la plus séduisante ?

Une tenue qui se porte en juin-juillet. Une sorte de débardeur, mais un peu lâche et qui laisse entraperce­voir un début de montagne, par l’aisselle.

Sur scène, tu penses au sexe ?

C’est mêlé. Le fait d’appuyer sur le piano, de rentrer dans les loupes, dans les vibrations invisibles, d’être en communion avec les gens… Tu t’oublies en étant focus. Tu es en relation avec toi-même, avec tous les autres. C’est clairement du sexe. Attention, je ne suis pas là à bander sous le piano !

Quel est le plus excitant : les images, les sons ou les mots ?

Je dirais les images. Ou plutôt une vision. Le regard que soi-même on porte sur quelque chose. C’est moi qui décide que telle chose ou telle personne est excitante.

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