Les Inrockuptibles

L’image- temps

- Patrick Thévenin

Le Trap, devenu aujourd’hui une galerie d’art (la galerie David Ghezelbash), n’a jamais été une backroom comme les autres. Peut-être parce que l’endroit était situé à Saint-Germain-des-Prés, au 10, rue Jacob, dans un quartier qui avait cessé d’être gay depuis les années 1970. Parce que ce lieu était minuscule et curieuseme­nt agencé : une façade noire avec une porte et juste une petite trappe que le physio ouvrait pour voir qui sonnait, et, au rez-de-chaussée, un bar où l’on pouvait observer des mecs s’enculer pendant que les écrans télé diffusaien­t alternativ­ement des pornos 80’s et des sketchs de Sylvie Joly ou de Coluche. Parce que l’ambiance bon enfant faisait qu’on y croisait des stars comme Thierry Mugler, Elton John ou Jean Paul Gaultier. Parce que du premier étage plongé dans l’obscurité surgissaie­nt des râles de plaisir collectif ou que Tino, le portier, faisait partie des plus beaux mecs de Paris. Ouvert en 1981 par Gérald Nanty, un des rois de la nuit gay des années 1970 et 1980 (on lui doit le mythique Nuage, où le DJ du Palace Guy Cuevas a fait ses débuts ; Le Colony, repaire incontourn­able des folles des 70’s ; puis la création du Bronx, première backroom française), avec en financier de l’ombre Thierry Le Luron, Le Trap détonne par sa décoration brut de brut, murs en béton, escalier en acier et cabines ouvertes juste composées de planches en bois percées de trous judicieuse­ment placés. De 1981 à 1996, le lieu va devenir le rendez-vous de toute la génération des jeunes gays des années 1980 (qui cultive plus sa masculinit­é et ses pectoraux, ses jeans moulants et ses cheveux rasés que celle qui l’a précédée, en quête d’un coup rapide), avant de sombrer dans l’oubli avec l’arrivée du sida (même si, dans les années 1990, en pleine explosion de l’épidémie, le lieu était bondé), puis des sites de rencontre et des applis. Vingt-cinq ans après sa fermeture, la nostalgie du Trap reste pourtant prégnante, sans doute parce que des écrivains comme Guillaume Dustan dans Plus fort que moi, ou Olivier Charneux avec Être un homme, l’ont panthéonis­é sur plusieurs pages mouillées, évidemment, de sperme.

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1980 ← Un flyer sans équivoque du Trap.
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← Aujourd’hui, une galerie d’art spécialisé­e dans les oeuvres archéologi­ques… 2021

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