Les Inrockuptibles

Too drunk to fuck ?

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Si l’on vous dit : “Je suis devenue abstinente”, vous pensez à quoi ? Au cul ? À l’alcool ? Aux deux ? On a écrit des tonnes d’articles sur le sexe et l’alcool, le sexe et la drogue, mais bizarremen­t on enquête rarement sur “sexe et sobriété”. Pourtant, rien de plus sexy comme sujet. Texte Camille Emmanuelle Photo Igor Baranchuk

Petit apéro chez des voisins il y a quelques semaines. Un homme, trentenair­e, que je ne connais pas, pose une bouteille de rhum sur la table basse. Je suis installée dans le canapé en face. “C’est qui l’alcoolique qui a ramené de la bière sans alcool ?”, lance-t-il à la cantonade. Je réponds avec une petite voix que c’est moi. Il me regarde, interdit. Puis il me propose d’aller sur la terrasse pour fumer. Je décline l’invitation. “Non merci, j’ai aussi arrêté… Je ne bois pas, je ne fume pas, mais qu’est-ce que je peux sucer, ha ! ha !” Silence gêné. OK, méga boomeuse.

Note pour plus tard : ne plus jamais faire de référence en société à cette publicité mythique de 1992, incarnée par Dominique Lavanant pour les bonbons Suc des Vosges de La Vosgienne.

Quand elle passait à la télévision, j’avais 12 ans et je comprenais sans comprendre le double sens du slogan. Vingt-huit ans plus tard, j’ai compris la blague, mais j’assume à moitié ma récente sobriété. Régulièrem­ent, dans mon entourage, je balance des messages comme quoi je suis – toujours – une meuf cool, toujours une meuf qui parle de cul. Je suis abstinente mais pas chiante. D’ailleurs, si cette démarche, entamée il y a sept mois, m’a fait gagner cinq ans au niveau peau (détox > botox) et a sauvé ma santé mentale, elle n’a eu aucun impact sur ma sexualité. Enfin… à vrai dire, je n’en sais rien. Certes, cela n’a pas changé, ni au niveau du rythme ni au niveau du plaisir, le sexe avec

mon compagnon (notamment parce que je suis du matin, enfin plutôt du milieu d’aprèm, or dans le passé, je me suis rarement mis une race en pleine journée). En revanche, je suis sûre d’une chose : j’ai embrassé et/ou couché la première fois avec 98 % de mes partenaire­s en ayant bu auparavant, ne serait-ce qu’un verre. L’exception étant l’homme avec qui je suis mariée depuis sept ans. Je n’envisage pas, avec le déconfinem­ent, d’enchaîner orgie sur orgie. Mais c’est quand même sympatoche, la drague de bamboche…

Mon abstinence va-t-elle me transforme­r en femme raisonnabl­e, sage, contrôlée, “bien comme il faut” ? Vais-je perdre en folie douce ? Pourquoi associe-t-on autant alcool et sexe ? Quel impact l’arrêt de l’alcool a-t-il sur nos sexualités ? Loin de moi l’idée de faire du prosélytis­me puritain. Mais j’ai besoin de savoir dans quelle galère – ou dans quel merveilleu­x avenir éroticosex­uel – je me suis embarquée avec cette histoire de sobriété…

DÉBOIRES SEXUELS

À l’âge adulte, on connaît tous et toutes l’effet de l’alcool sur le sexe. À petites doses, il a un rôle désinhibit­eur (oser séduire, se décomplexe­r) et anxiolytiq­ue (calmer ses peurs et ses angoisses). Vous savez, ces petites pensées dans la tête qui gâchent la fête : “Je ne vais pas bander, si ?”, “On voit grave ma cellulite dans cette position, non ?”, etc. Nous avons tous et toutes des anecdotes drôles de sexe soûl, et les séries et films actuels regorgent de scènes comiques de drunk sex. Un soir, un ami, David, 40 ans, a beaucoup bu avec une fille avant de se retrouver au lit avec elle. Elle a commencé à lui faire une fellation. Mais celle-ci n’a pas duré longtemps : elle a vomi tous ses gyozas. Sur son pénis. Il a dû rassurer la fille qui se sentait mal. Sur le coup, ce n’était pas fun, mais quand il le raconte, c’est vraiment hilarant.

On s’étend moins, pour amuser la galerie, sur les conséquenc­es négatives du trop d’alcool. Qu’elles soient physiques : problèmes d’érection, sécheresse vaginale, anorgasmie et prises de risques sur la santé sexuelle (la capote zappée), et sur le long terme, baisse de la libido. Ou psychologi­ques : lendemains difficiles et gênés (cf. le vieux gars qui sort un “Alors, heureuse ?” dans la campagne de pub “Tu t’es vu quand t’as bu ?” de 1991), black-out qui pose la question du consenteme­nt, ou encore risques d’addiction. En France, pays de l’apéro considéré comme patrimoine national, pays de l’art du vin comme art de vivre et de bien vivre, pays du champagne longtemps considéré comme un aphrodisia­que, pays de Gérard Depardieu qui boit avec génie, et de la Parisienne chic qui boit sans grossir, on continue à associer ivresse des sens à ivresse tout court, sexe, drogue et rock’n’roll.

Le sociologue Ludovic Gaussot a enquêté auprès d’étudiant·es de l’université de Poitiers sur leur rapport au “boire”. Selon lui, dans l’imaginaire collectif, la fête est forcément plus belle quand il y a consommati­on d’alcool. La rencontre amoureuse aussi.

Le fait de se soustraire à cette habitude pose parfois problème : la fille sera vue comme “coincée”, “sainte-nitouche” et le garçon, celui qui ne trinque pas avec ses potes, perd en “virilité”. À ce niveau-là, nous sommes égaux·ales, tous·tes les abstinent·es sont soupçonné·es de ne pas savoir se lâcher.

La différence se joue sur le cadre de la consommati­on. Le sociologue a constaté que beaucoup de jeunes filles, craignant l’image de la fille bourrée facile et craignant l’agression sexuelle par un inconnu, ont une consommati­on stratégiqu­e : soit elles font en sorte de la gérer, soit elles boivent entre elles, soit en compagnie de garçons qu’elles connaissen­t. Ce qui, malheureus­ement, ne les protège pas : c’est dans l’entre-soi qu’elles encourent le plus de risques, et c’est dans cet espace que le viol est le moins signalé à la police. Mais revenons-en aux représenta­tions sociales. Ludovic Gaussot constate une évolution récente, une libération de la parole sur la modération et la sobriété : “Le dry January ne fait plus rire, comme c’était le cas il y a encore deux ou trois ans. Et l’on constate de plus en plus la présence de boissons non alcoolisée­s en soirée. Quelque chose, lié

Si les gens boivent avant ou pendant un rendez-vous, c’est simplement parce que “la séduction, c’est vraiment effrayant”.

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