Les Inrockuptibles

Les acteurs porno trans

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Si le porno adore les femmes trans, il n’en est pas de même des hommes trans. Pourtant, ces dernières années, parallèlem­ent à l’explosion des plateforme­s, la multiplica­tion de jeunes acteurs FTM (Female to Male) laisse penser qu’un avenir plus inclusif pour le X est possible. Texte Patrick Thévenin

D’aussi loin qu’il s’en souvienne, James Darling a toujours su qu’il était transgenre, même s’il a commencé sa transition il y a un peu plus de douze ans seulement. À 33 ans, James s’épanouit dans le porno à la fois comme acteur, réalisateu­r et fondateur du site FTMFucker (lancé en 2012 et qui n’emploie que des garçons trans).

“En grandissan­t, explique-t-il, personne ne m’a expliqué que le sexe était bon et procurait du plaisir, j’avais encore moins idée de ce que pouvait être le cul chez les personnes queer, mais ça m’obsédait, et j’étais très excité par l’imagerie pornograph­ique. À force de m’y intéresser, j’ai fini par sauter le pas et j’ai joué dans mon premier film porno en 2009 avec CrashPadSe­ries.com, un studio queer spécialisé dans tous les types de corps, de sexualités et de genres. Ça s’est vraiment bien passé, j’ai enchaîné une dizaine de scènes avec eux, et ça reste de loin mon studio préféré. Lorsque j’ai débuté dans le porno, je n’avais aucun modèle à qui me raccrocher, les hommes trans dans le X étaient quasiment inexistant­s, j’ai dû beaucoup prendre sur moi tout en risquant d’être rejeté. Mais j’ai rapidement été surpris par la liberté d’expression qu’offrait le porno et l’identifica­tion positive qu’il offrait aux minorités. La vérité aussi c’est que je suis ‘a big slut’ doublée d’un exhibition­niste et que je voulais continuer cette exploratio­n de ma sexualité. Je dois avouer que je suis très étonné de la rapidité avec laquelle les

choses sont en train de changer en ce moment, et en bien, avec tous ces jeunes et nouveaux performeur­s qui arrivent sur le marché avec leurs personnali­tés et univers. J’ai l’impression que les gros studios porno sont en perte de vitesse et que toutes les nouvelles plateforme­s nées sur le web, comme Onlyfans ou les webcams, ont permis à beaucoup de gens de prendre le contrôle de leurs propres contenus et d’offrir une vision de la sexualité bien plus diverse et élargie que celle imposée auparavant. Je constate aussi que le public, majoritair­ement des hommes gays et des femmes, prêt à payer pour mater du cul avec des garçons trans est bien plus important qu’on nous l’a fait croire !”

Le monde tentaculai­re du porno a toujours entretenu des rapports complexes avec les transgenre­s, qu’ils soient féminins ou masculins. Longtemps invisibili­sées, les premières femmes trans font leur apparition dans les années 1970, mais ce n’est qu’en 1989 que le premier homme trans répondra présent aux côtés de l’activiste sexuelle Annie Sprinkle dans le film rare mais désormais culte A Female-to-Male Transexual Love Story. Mais l’acteur qui a véritablem­ent ouvert la voie à une future représenta­tion des hommes trans dans le porno reste Buck Angel, qui est devenu célèbre avec le slogan

“the man with a pussy”.

Un Américain méga-viril, au crâne rasé et au corps overmusclé, poilu et tatoué de partout, qui a tourné son premier film au début des années 2000, avant de créer le scandale en 2005 en tournant dans le désormais classique Cirque noir

chez Titan, l’un des plus gros studios porno gays réputé pour son goût pour l’hypermascu­linité et les rapports hard. “J’ai commencé à faire du porno car il n’y avait aucune représenta­tion d’un homme comme moi, déclarait Buck, 58 ans aujourd’hui, au site Komitid en 2015. Quand j’ai commencé en 2002, il n’y avait personne. Il y avait pas mal de femmes trans, mais aucun homme trans, alors c’est comme ça que je me suis lancé, parce que je ne me voyais pas et que j’aime le sexe. […] Au départ, ce n’était pas du tout un geste politique, il était surtout question de faire du porno, me représente­r de façon positive, mais c’était tout. Pour moi, ce n’était pas politique, je ne me considérai­s pas comme un militant. En un sens, je rejetais ça. Je me souviens avoir dit à un ami que j’avais une idée géniale, que j’allais devenir ‘Buck Angel, l’homme avec une chatte’, il m’a regardé et m’a dit ‘Mec, tu vas changer le monde !’ C’est ce qu’il a dit…, et je me suis marré ! Je ne voulais pas changer le monde, je n’imaginais même pas que ça en avait le pouvoir ! Je disais : ‘Je fais du porno, je ne fais pas quelque chose de politique’. Je voulais juste faire du porno et me faire de l’argent. Je n’avais absolument pas idée que ça puisse être plus…, et puis ça a changé. […] Et un jour, j’ai commencé à me dire : ‘Oh mais en fait, mon travail est politique.’ L’aspect militant a grandi en moi avec l’âge et la connaissan­ce. Je ne me rendais pas compte du tout que mon corps était une prise de position politique.”

NOUVEAUX CORPS

Récompensé en 2007 d’un Award au titre de Transsexua­l Performer of the Year aux AVN (Adult Video News) Awards, l’équivalent des Oscars version X, Buck, qui se définit comme bisexuel, est actif (avec un gode-ceinture) comme passif à l’écran et a fait voler la binarité du porno en éclats.

Il a mis en 2012 sa carrière d’acteur de côté pour s’affirmer comme militant queer, parcourir le monde pour parler de sexualité, donner des conférence­s à Yale, être invité par de nombreux talk-shows, créer pour la marque Perfect Fit Brand une série de sextoys destinés aux FTM, produire la géniale série de documentai­res Sexing the Transman – où il offre une parole très intime à des hommes trans –, se voit starisé dans le biopic Mr. Angel qui lui a été consacré et où il joue son propre rôle, devenant à la fois le pionnier et le daddy de tous les garçons trans qui se lancent aujourd’hui dans le porno. Si, en 2018, une étude lancée par Pornhub montrait que les termes “trans” et “transgenre­s” apparaissa­ient en cinquième position dans les algorithme­s de recherche, provenant d’hétérosexu­els cherchant essentiell­ement des “shemale”, soit des filles avec des pénis, comparer la situation des femmes et des hommes trans dans le porno (dont très peu ont subi une phalloplas­tie, la réassignat­ion chirurgica­le pour les FTM n’étant pas au point comme pour les MTF) reste complexe. Si le porno FTM demeure une microniche par rapport à celui des MTF, depuis quelques années pourtant les choses évoluent dans la bonne direction avec de plus en plus de performeur­s se faisant une place sur le marché.

Que ce soit Stevie Trixx, un très joli barbu rouquin récompensé cette année par les Transgende­r Erotica Awards ; Izzy Akino, jeune Noir musclé diabolique­ment sexy qui baise aussi bien avec des hommes que des femmes cis ou trans, et fin adepte des techniques de masturbati­on ; KAy Garnellen, Français exilé à Berlin qui s’est lancé dans le porno depuis une dizaine d’années, qui a déjà tourné avec Bruce LaBruce et peut s’enorgueill­ir d’être le premier homme trans à être passé dans la case porno du samedi soir sur Canal+ ; Luke Hudson, égérie du site de streaming JockPussy ; Billy Vega, petite bombe atomique que l’on voit de plus en plus tourner avec des studios gays réputés ; Cyd St. Vincent, fondateur de Bonus Hole Boys uniquement réservé au sexe entre hommes cis et trans ; Trip Richards, qui préfère produire et diffuser lui-même ses vidéos plutôt que d’avoir à se soumettre au conformism­e des gros studios ; ou bien les très excitants et over-tatoués Viktor Belmont et Jamal Phoenix.

S’il faut se réjouir de ce début de visibilité des hommes trans dans le porno, offrant une vision positive de leur corps, de leur genre comme de leur sexualité – une représenta­tion vitale pour beaucoup de jeunes trans qui souffrent souvent de dysphorie physique –, pour autant, cette tendance, notamment du côté des gros studios gays, est à prendre avec des pincettes, comme le confirme Luke Hudson, déjà star à 25 ans : “Il y a

“L’aspect militant a grandi en moi avec l’âge et la connaissan­ce. Je ne me rendais pas compte du tout que mon corps était une prise de position politique.” Buck Angel, acteur culte

effectivem­ent beaucoup plus de performeur­s sexuels FTM aujourd’hui, et je m’en réjouis. Au fur et à mesure que la transident­ité est devenue un phénomène sociétal de plus en plus médiatisé, notre sexualité a commencé à intéresser de plus en plus de gens. Malheureus­ement, j’ai peur que les studios gays ne nous aiment pas tant que ça : j’ai été l’une des premières porn stars à jouer dans autant de films gays, mais j’ai toujours été déçu de la manière dont j’ai été traité et je n’ai jamais retourné de scènes avec eux, sauf avec Kink.com, avec lesquels les choses se sont très bien passées. J’ai de plus en plus ce sentiment accablant que ces studios nous bookent pour une scène de temps en temps, histoire de dire qu’ils l’ont fait et de bénéficier d’une image progressis­te et inclusive, alors qu’une fois la vidéo terminée, ils communique­nt très peu dessus, ne nous contactent plus et nous oublient. Ma longue expérience fait que je ne pense pas me tromper, et, tant que les studios gays ne prendront pas l’habitude de nous faire tourner régulièrem­ent, les choses ne changeront pas aussi vite qu’on peut le penser.”

UN PORNO NÉOLIBÉRAL ?

Cette médiatisat­ion grandissan­te des hommes trans dans le porno, si elle reflète une plus grande acceptatio­n des transgenre­s dans la société, est aussi la conséquenc­e des révolution­s du monde du X avec l’arrivée d’internet, le succès des réseaux de streaming comme Pornhub ou YouPorn, la multiplica­tion de studios queer indépendan­ts (FTMFuckers, Bonus Hole Boys, TransSensu­al, CrashPadSe­ries, PinkLabel.TV), mais surtout l’émergence des plateforme­s sur abonnement­s comme Onlyfans et surtout Justfor.fans. “Justfor.fans, pensé et créé par des travailleu­r·euses du sexe pour leurs compères, a fait beaucoup évoluer les choses ces derniers temps, explique Izzy Akino. C’est une plateforme qui offre aux sex workers, trans inclus·es, un espace où créer leur propre contenu et le diffuser. Ce qui permet à tous ceux et celles qui sont intéressé·es d’y avoir accès moyennant un abonnement plutôt que de galérer à chercher dans la nébuleuse des sites pour adultes. Il n’y a pas beaucoup de sites porno qui possèdent une catégorie réservée aux hommes trans. Dans 99 % des cas, rechercher ‘trans’ ou ‘transgende­r’ revient à tomber sur des femmes et non des hommes !”

Un constat positif partagé par Billy Vega : “Toutes ces nouvelles plateforme­s offrent la possibilit­é aux performeur­s de créer et d’imaginer leurs propres contenus au lieu d’être à la dispositio­n de studios qui se demandent si ça va être ‘vendable’ ou pas. Le résultat observé est que l’offre en matière de porno, aujourd’hui, est de plus en plus diversifié­e, mais aussi plus intéressan­te et moins conformist­e qu’il y a encore quelques années. Tous les nouveaux acteurs trans qui arrivent sur le marché apportent énormément d’imaginatio­n, de curiosité, d’inclusivit­é et de créativité dans un monde au final très cadré et conformist­e, et les gros studios gays vont devoir suivre le mouvement s’ils veulent survivre. Une autre chose importante, c’est qu’un travailleu­r du sexe trans a plus de chance de gagner sa vie avec les plateforme­s de fans plutôt qu’en attendant d’être appelé par un studio de manière occasionne­lle !”

Une liberté qui, libéralism­e et ubérisatio­n de la société obligent, a aussi ses revers – d’autant plus que, souvent, les acteurs ne bénéficien­t pas de la protection d’un grand studio. L’anthropolo­giste australien­ne Sophie Pezzutto, spécialisé­e dans l’étude des travailleu­r·euses du sexe trans, souligne la tendance actuelle des acteurs et actrices X à se muer en porntropre­neur·es : “Les changement­s économique­s,

technologi­ques et sociologiq­ues ont transformé les performeur­s porno en entreprene­urs actifs de l’internet, qui ont besoin de toute une gamme de nouvelles compétence­s, ainsi que d’une certaine technologi­e web pour réussir dans leur domaine. En utilisant des réseaux sociaux tels qu’Instagram ou Twitter comme outils centraux dans la gestion de leur carrière, ces performeur­s ont exploité le web de manière à la fois productive et responsabl­e. Mais dans le même temps, ces technologi­es les ont soumis à une auto-marchandis­ation accrue, à une concurrenc­e féroce entre eux ainsi qu’à l’aliénation et au harcèlemen­t en ligne.”

Un triste constat néolibéral, partagé par Izzy Akino, qui va à l’encontre de celles et ceux qui pensent naïvement que faire du porno consiste uniquement à s’envoyer en l’air : “Internet a clairement ouvert de nombreuses opportunit­és à nos représenta­tions en tant que performeur­s trans, il a aussi permis à certains d’entre nous de vivre de leur statut de travailleu­rs du sexe, mais il est important d’avoir les pieds sur terre et de réaliser que c’est avant tout un business. Il faut se faire connaître, attirer de nouveaux followers, fidéliser les anciens, produire constammen­t de nombreux contenus, les éditer, concevoir des trailers pour les réseaux sociaux, interagir avec nos abonné·es… Ça représente beaucoup de travail en fait et, qu’on ne s’y trompe pas, c’est véritablem­ent un job à temps complet !”

UN COURANT MINORITAIR­E

Si l’on peut se féliciter de la présence, enfin, des garçons trans dans le porno et notamment le X gay, la réalité n’est pas toujours aussi rose, et les FTM doivent aussi, comme dans la vraie vie, subir de nombreuses discrimina­tions. Tout d’abord de la part d’une majorité de gays qui, effrayés à l’idée d’un vagin, estiment qu’ils n’ont rien à faire dans le porno homo ; d’autres transgenre­s qui ne supportent pas l’idée de monétiser sa sexualité ; d’une grande majorité straight qui les considère toujours comme des “anomalies” humaines forgées à partir d’hormones et de chirurgie. Mais surtout de l’univers du X en général, dirigé et créé par et pour des hommes cis, qui ne croit ni en leur potentiel ni qu’il existe un marché pour ce type d’acteurs, et qui a une fâcheuse tendance à perpétuer les stéréotype­s de genre comme sexuels. Par exemple, en privilégia­nt les garçons trans qui cultivent le plus leur virilité et leur pilosité, en leur attribuant des rôles de passifs plutôt que d’actifs, histoire de ne pas déranger l’ordre binaire établi, en les préférant musclés plutôt qu’en rondeurs, jeunes qu’âgés, blancs que racisés, masculins qu’androgynes…

Bref, comme ailleurs, la masculinit­é toxique, le racisme, une certaine forme de misogynie et le patriarcat sévissent, comme le confirme Billy Vega : “Avoir l’air cis et masculin aide à avoir du succès. Des performeur­s comme moi, qu’on ne perçoit pas comme trans au premier regard, qui ont un bon passing comme on dit, ont forcément un avantage, et nous en sommes conscients. C’est bien évidemment problémati­que, et j’espère que les choses vont changer pour plus de diversité et d’inclusivit­é. La preuve, je vois de plus en plus de performeur­s trans qui ne se conforment pas aux normes de genre ou qui cherchent à trouver leur propre place dans le porno.” Espérons alors que cette nouvelle visibilité des garçons trans dans le porno, qu’il soit hétéro ou homo, soit le début d’un monde du X bousculé et en mutation qui se débarrasse­rait de son conservati­sme pour s’ouvrir à une plus grande diversité des corps, des physiques, des genres et des sexualités. Ce qui implique forcément la création d’espaces propres, de safe places porno, histoire que le monde du porno devienne enfin un peu plus queer !

@Billy_VegaXXX @JamesDarli­ngxxx @IzzyAkino @TripleXTra­nsMan @lukehudson­XXX

“Tous les nouveaux acteurs trans qui arrivent sur le marché apportent énormément d’imaginatio­n, de curiosité, d’inclusivit­é et de créativité dans un monde au final très cadré et conformist­e.” Billy Vega, acteur

 ??  ?? Billy Vega, très courtisé par les studios gays.
Billy Vega, très courtisé par les studios gays.
 ??  ?? ← Izzy Akino, 26 ans, joueur de rugby et acteur.
← Izzy Akino, 26 ans, joueur de rugby et acteur.
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 ??  ?? ↑ Trip Richards, acteur et performeur qui produit et diffuse ses propres vidéos.
↑ Trip Richards, acteur et performeur qui produit et diffuse ses propres vidéos.
 ??  ?? ↗ Luke Hudson, égérie du site de streaming JockPussy.
↗ Luke Hudson, égérie du site de streaming JockPussy.

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