Les Inrockuptibles

HAPPIER THAN EVER

de Billie Eilish

- Maxime Delcourt

Plutôt que de célébrer sa réussite, l’Américaine préfère révéler la face B de la célébrité avec un irrésistib­le panache pop.

Il y a quelque chose d’étonnant à voir Billie Eilish sortir son tant attendu deuxième album en plein été, quand les nuits tardent à venir et que le soleil se refuse à toute discrétion. Tout le monde a encore en tête When We All Fall Asleep, Where Do We Go?, et on ne peut pas dire que celui-ci était taillé pour les boums de camping, encore moins pour ces après-midi passés sur la plage, le coeur léger. Une simple idée reçue ? Qui sait. Après tout, si ce second LP se nomme Happier than Ever, c’est peut-être parce que l’Américaine en a fini avec le mal-être adolescent. Le succès est passé par là, ses promesses d’amour également : elle n’est plus cette jeune femme qui longe les couloirs du lycée la boule au ventre. C’est une pop star de presque 20 ans, qui a cessé de se camoufler derrière ses baggies et ses mèches vertes pour dévoiler ses formes en couverture de Vogue.

Sauf que la réalité n’est pas aussi linéaire. On est chez Billie Eilish, pas chez Taylor Swift : ici, on a envie de croire qu’il n’y a pas de place pour le storytelli­ng, que l’on envoie valser le chiqué et que tout n’est finalement qu’ironie, comme le laisse à penser le contenu du disque, sorte de thèse très documentée sur le désenchant­ement du vedettaria­t. À chaque titre, c’est de ça qu’il s’agit : le poids des regards, le body shaming, la pression constante des médias, la nostalgie de l’anonymat.

“Je ne veux pas que le monde sache tout de moi”, disait-elle déjà en 2019. Billie Eilish n’est pas la première à adopter ce genre de posture, ni à rendre intéressan­ts ces questionne­ments détachés du commun des mortels – Nirvana, Black Sabbath ou Bowie sont passés par là. Sa force, c’est surtout de parvenir à stimuler l’émotion, à mettre en son des textes qui favorisent l’empathie de l’auditeur·trice, désormais persuadé·e qu’il·elle aurait agi de la même façon dans une situation similaire. La question d’une marche qui serait trop haute pour Billie Eilish ne se pose donc que chez les naïf·ves, celles et ceux qui ont tôt fait de la limiter à quelques tubes emo pop en phase avec une époque troublée. La chanson-titre en atteste, passant en quelques minutes d’une ballade acoustique, lo-fi et parfaiteme­nt raccord avec le chant murmuré de la songwriteu­se, à une explosion de guitares et de batteries presque emphatique­s. Ce n’est là qu’une des nombreuses idées de production de Happier than Ever à travers lequel Billie Eilish, toujours assistée de son frère Finneas, s’offre des figures de style inédites : ici, des pulsations techno (Oxytocin), là, une rythmique bossa nova (Billie Bossa Nova), tandis que les synthés de Therefore I Am et les inclinatio­ns hip-hop de I Didn’t Change My Number offrent à son chant un écrin classieux. Ça peut paraître peu. C’est déjà beaucoup. Surtout quand cette voix semble contenir une telle angoisse, une telle peur, résumée par un cri, primal, colérique, balancé en fin d’album : “Just fucking leave me alone.”

Happier than Ever (Darkroom/ Interscope Records/Universal). Sorti depuis le 30 juillet

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