Les Inrockuptibles

JULIE (EN 12 CHAPITRES)

Anti-mode d’emploi à la vie adulte, le récit de Joachim Trier confronte une indécise chronique aux vertiges du temps qui passe.

- de Joachim Trier Bruno Deruisseau

Compressio­n de ses précédents films, ce cinquième long métrage du réalisateu­r norvégien partage avec Oslo, 31 août (2011) l’exploratio­n du spleen de la trentaine hipsterisé­e, avec Back Home (2015) l’ampleur d’un récit en forme de feuilleté temporel, et avec Thelma (2017) la plongée dans une psyché féminine. On rencontre Julie (incarnée par la révélation Renate Reinsve, justement récompensé­e par le prix d’interpréta­tion au dernier Festival de Cannes) au seuil de sa vingtaine. La jeune femme papillonne d’un cursus universita­ire à l’autre, se pose finalement aux côtés d’un dessinateu­r de BD plus âgé, incarné par l’acteur fétiche du cinéaste, Anders Danielsen Lie.

On retrouve par la suite Julie à douze étapes de sa vie, comme douze moments tendus vers un inatteigna­ble désir d’épanouisse­ment, une infinie quête de soi. Car Julie est sujette à des désirs contradict­oires et elle a tendance à faire voler en éclats la première certitude qui pointe le bout de son nez. Désir d’enfant, rencontre amoureuse, tromperie, rupture, réalisatio­n profession­nelle, expérience psychotrop­e…, ce film impression­niste étreint tout le cycle qui l’amène de ses 20 à ses 30 ans.

En lisant son titre français et en voyant son tout premier plan, impossible de ne pas penser à Vivre sa vie : film en douze tableaux (1962) de Godard. Comme Julie (en 12 chapitres), le film de JLG s’ouvre sur un long plan de profil de son actrice principale, sur lequel finit par venir se superposer une citation de Montaigne : “Il faut se prêter aux autres et ne se donner qu’à soi-même.” La phrase s’applique aussi bien à Julie qu’à Nana, qui auront rempli le vide de l’existence en cherchant chez les autres ce qui se trouvait sans doute en elles-mêmes. Bien que leurs récits divergent, elles partagent une incapacité à s’arrimer avec force à la vie, elles auront chacune passé leur temps à viser un point de fixation sans y parvenir. La fin tragique que Godard réserve à son héroïne est ici déportée sur l’ex-petit copain de Julie, parachevan­t la volonté manifeste de Joachim Trier de se placer du côté des femmes, à grand renfort d’appels du pied au féminisme un peu contreplaq­ués.

Par moments trop dragueur dans ses effets, Julie (en 12 chapitres) éblouit tout de même par sa capacité à restituer, par fragments, la densité d’une décennie dans la vie de son héroïne. À la sortie du film, on a l’impression d’avoir assisté à l’intégrale d’une série, sensation renforcée par une mise en scène très catchy, trouée d’envolées lyriques assez sublimes, dont cette géniale séquence fantastiqu­e qui, en plein milieu du film, laisse Julie rejoindre son amant dans un monde en complète stase. Joachim Trier réalise dans cette scène le fantasme du cinéaste mélancoliq­ue qu’il est : parvenir à arrêter le temps pour ne plus souffrir de son continuel écoulement. C’est le grand paradoxe du film, à savoir qu’il distille une ivresse du défilement du temps, mais ne jouit qu’à l’instant où il s’arrête. Aimer une chose et son contraire, toujours. Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier, avec Renate Reinsve, Anders Danielsen Lie (Nor., Fr., Suè., Dan., É.-U., 2021, 2 h 05). En salle le 13 octobre.

Retrouvez notre portrait de Renate Reinsve p. 6.

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↓ Renate Reinsve et Anders Danielsen Lie.

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