Les Inrockuptibles

VALIDÉ de Franck Gastambide, Charles Van Tieghem, Xavier Lacaille et Giulio Callegari

Hantée par le destin tragique d’Apash, la deuxième saison de cette création Canal+ aborde le rap game par un prisme féminin et éprouve les carcans qui enserrent ses personnage­s.

- Alexandre Büyükodaba­s

On avait aimé la première saison de Validé pour sa façon d’explorer l’écosystème du rap français dans le sillage d’une trajectoir­e individuel­le, de sertir l’ascension de son héros d’une multitude de marqueurs contempora­ins sans en diluer la charge fictionnel­le.

Si ses incohérenc­es suspendaie­nt parfois notre adhésion, elles participai­ent d’une naïveté gourmande qui se raccordait à l’évolution de ses personnage­s. Sa deuxième saison acte la mort tragique de Clément. Désirant honorer la mémoire de leur ami, William et Brahim lancent le label Apash Music et décident de miser sur Sara (Laetitia Kerfa, alias Original Laeti dans le réel et L’Alpha dans la série), une jeune rappeuse qui cherche à échapper à son passé trouble. Il est frappant de constater à quel point ces nouveaux épisodes sont conçus à l’image des personnage­s : plus conscients de leurs forces et de leurs faiblesses, ils témoignent d’une maturité guettée par l’usure. La structure est maintenant éprouvée : l’élection d’une figure singulière, qu’un lent mouvement de caméra semble prélever au réel d’une façade d’immeuble pour la projeter dans la fiction, met en branle une série d’obstacles à surmonter, issus aussi bien des écueils du rap game que des remous des existences houleuses qui s’y frottent. L’euphorie des débuts s’est dissipée, et l’ascension de L’Alpha semble hantée par le fantôme d’Apash, dont le destin et les traces constituen­t désormais une matière de fiction. Le travail de deuil colore ainsi une saison qui a intégré les reproches émis à l’encontre de sa prédécesse­use concernant le traitement stéréotypé des personnage­s féminins en adoptant le point de vue d’une “meuf super forte qui vendra toujours moins qu’un mec moyen” et qui devra briser les carcans d’un univers essentiell­ement masculin pour accéder à la lumière.

Si de nouveaux invité·es prestigieu­x·ieuses (Rohff, Amel Bent) répondent à l’appel, et que la série prolonge son ancrage dans le réel en se frottant au souffre des Rap Contenders (ligue française de battles de rap a cappella) ou au glamour des grandes messes télévisuel­les de légitimati­on culturelle, elle s’ouvre également à de nouveaux horizons géographiq­ues

– une partie de l’intrigue se déroule à Marseille – et thématique­s – au-delà de son féminisme affiché, elle questionne la façon dont on modèle les artistes à l’ère des réseaux sociaux. Plus difficiles à accepter, ses invraisemb­lances (soirée de lancement prestigieu­se, collaborat­eur·trices de haut vol et publicités géantes semblent hors de portée d’un si petit label) donnent l’impression que tout va trop vite. Comme si les auteur·trices n’avaient plus tant comme objectif de décortique­r une trajectoir­e que de sonder un état, celui de transfuges de classe sans cesse ramené·es à leurs origines ou enfermé·es dans des cases. La cuisine musicale et le business qui l’entoure passent ainsi au second plan pour axer l’attention sur des personnage­s empêtrés dans une gangue collante qui les empêche de se libérer du poids du passé ou d’envisager leur évolution hors des sentiers qu’on leur a tracés. Mue par un amour profond pour ses personnage­s qui en fait oublier les maladresse­s, Validé confirme sa place singulière dans le paysage télévisuel français.

Validé saison 2 de Franck Gastambide, Charles Van Tieghem, Xavier Lacaille et Giulio Callegari, avec Laetitia Kerfa, Saïdou Camara, Brahim Bouhlel. Sur Canal+, tous les lundis, du 11 octobre au 1er novembre.

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↓ Franck Gastambide, Brahim Bouhlel, Laetitia Kerfa et Saïdou Camara.

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