Les Inrockuptibles

BONFIRE PEAKS sur Switch, PS4 et PS5

Très réussi, ce jeu parvient à surprendre et à troubler son public avec un standard du genre.

- Erwan Higuinen

“Lovingly crafted puzzle games since 2013.” Pour une fois, on pourrait presque s’arrêter à la formule par laquelle un éditeur présente ses jeux. “Des puzzle games” (parmi les meilleurs) “confection­nés avec amour” (ce dont témoigne leur souci du détail) : voilà, Draknek & Friends, c’est ça. Et le “& Friends” n’avait sans doute jamais eu autant de sens qu’aujourd’hui, où la maison Draknek, qui n’est plus un “simple” studio de développem­ent, publie pour la première fois un jeu qui n’est pas l’oeuvre de la bande menée par son fondateur Alan Hazelden mais celle d’un créateur indépendan­t, Corey Martin.

Pourtant, Bonfire Peaks a tout du pur jeu Draknek. De Sokobond à A Monster’s Expedition en passant par A Good Snowman Is Hard to Build (“Un bon bonhomme de neige est difficile à construire” : quel merveilleu­x titre…) et Cosmic Express, qui se sont tous rappelés à notre souvenir ému cet été avec leur arrivée groupée sur la Switch, les puzzle games de la maison londonienn­e suivent la même règle de conduite. D’abord, il y a une idée, simple, presque banale. Une bonne partie de la production du studio dérive ainsi plus ou moins directemen­t du classique Sokoban (1982), qui nous faisait pousser des caisses dans des tableaux de plus en plus complexes. Ensuite, et c’est là que se fait la différence, il y a l’interpréta­tion, au sens musical du terme, de ce que, comme en jazz, on pourrait appeler un standard du jeu vidéo.

Alors, un concept qui semblait limité se révèle inépuisabl­e. Les variations sont multiples, inattendue­s et pourtant toujours rigoureuse­s, dans la ligne spirituell­e autant que mélodique de l’oeuvre qui, selon les cas et les moments, se mêle de chimie ( Sokobond nous fait assembler des molécules) ou de transports urbains ( Cosmic Express, en mode SF), avec toujours ce mélange d’ironie et de mélancolie et cette manière très sûre de créer des atmosphère­s.

Parfois, en terminant un bonhomme de neige ou en débarquant dans un nouvel archipel de A Monster’s Expedition,

on jubile avec les larmes aux yeux. Aussi sensuels que cérébraux, les jeux Draknek & Friends ont une façon bien à eux de nous accueillir : sans vraiment expliquer ce que l’on est censé·e y faire mais en offrant d’emblée la certitude qu’on sera bien. Qu’on pourra prendre son temps, s’y reprendre à de multiples reprises, que ce n’est pas bien grave, qu’au bout du compte on y arrivera et que ça en vaudra largement la peine.

Avec Bonfire Peaks, aux personnage­s et décors faits de cubes comme dans Minecraft, le miracle Draknek se produit à nouveau, l’influence de Sokoban

est encore là, et, pourtant, le sentiment est fort de jouer à quelque chose de nouveau, de différent.

Dans une jungle mystérieus­e, notre héros cherche son chemin vers le prochain feu de camp, synonyme d’accès à un nouveau niveau où l’étonnant objectif restera le même : s’approcher suffisamme­nt des flammes pour y brûler nos affaires. Faut-il y voir un sacrifice ? Une célébratio­n païenne ou mystique ? Un furieux geste anticapita­liste ? Un nouveau grand puzzle game, en tout cas, c’est sûr.

Bonfire Peaks (Corey Martin/Draknek & Friends), sur Switch, PS4, PS5, Mac, Linux et Windows. Sortie le 30 septembre. Environ 17 €.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France