Les Inrockuptibles

SHOWGIRL de et avec Marlène Saldana et Jonathan Drillet

Inspirée du film de Paul Verhoeven, une variation réjouissan­te célébrant la gloire du mauvais goût et l’amour du spectacle.

- Fabienne Arvers

Comment un bide tel que Showgirls, réalisé par Paul Verhoeven et unanimemen­t descendu par le public et la critique à sa sortie en 1995, est-il finalement devenu un film culte que s’est réappropri­é le milieu queer ? Sans doute pour la même raison qui nous fait hurler de rire devant les insanités que profère d’emblée Marlène Saldana, outrageuse­ment maquillée, vêtue d’une robe fourreau et de gants couleur chair, gratifiés, à leurs extrémités, d’ongles griffes carmin, et dont elle nous livre rapidement le secret : “Le bon goût, c’est l’ennemi de la créativité.”

Une salve qui fait office de feuille de route pour le tandem Marlène Saldana/ Jonathan Drillet qui célèbre le kitsch dans ce nouvel opus reconstitu­ant la trame du film de Paul Verhoeven tout en y mêlant quelques dialogues de leur cru, truffés de références cinématogr­aphiques – de Woody Allen à William Friedkin.

En choisissan­t de démarrer la pièce sur l’audition de Nomi Malone – personnage principal du film alors interprété par Elizabeth Berkley – pour le spectacle Goddess par le directeur artistique Tony Moss, odieux dans ses remarques sur le physique des danseuses, Showgirl porte le fer là où ça fait mal. La compétitiv­ité non seulement autorise mais exige tous les coups fourrés et compromiss­ions possibles.

On remarquera au passage que le titre du spectacle n’est pas au pluriel. C’est normal, Marlène Saldana interprète tous les personnage­s du film, l’idée initiale de Showgirl découlant de sa participat­ion depuis plusieurs années au projet de Boris Charmatz 20 danseurs pour le XXe siècle.

“L’idée est de créer une performanc­e autour d’une chorégraph­ie iconique du siècle dernier, explique-t-elle aux Inrockupti­bles

dans le supplément du festival Actoral. J’ai pris l’habitude de reprendre du Mike Kelley et du Vito Acconci. Et puis, un jour, j’ai eu envie de changement, et c’est à ce moment-là que je me suis mis en tête de reprendre le film Showgirls. Parce qu’il est dans le panthéon de quasiment tous les danseurs du monde, au même titre que 42e rue, Fame, Flashdance. C’est l’histoire, typique, d’une fille qui part de rien mais veut devenir la plus grande danseuse du monde. C’est une actrice géniale, Elizabeth Berkley, qui ose tout. C’est une série de scènes cultes…”

Pour l’accompagne­r dans la succession de scènes chantées ou parlées, sur la musique electrocla­sh de Rebeka Warrior (compositri­ce et chanteuse des groupes Sexy Sushi et Mansfield.TYA), Sophie Perez a imaginé une scénograph­ie explosive où un mamelon-grotte-volcan, éclairé par un phallus gigantesqu­e à l’armature métallique recouverte de perles et pourvue d’ampoules électrique­s, fait pencher le kitsch vers l’absurde beckettien d’Oh les beaux jours. Changeant de tenue ou carrément nue, Marlène Saldana se donne sans compter, chante, joue, danse et papote avec une intensité et une gourmandis­e jamais prises en défaut. Showgirl réussit le prodige de tabler sur une forme minimalist­e pour en exploser le cadre de l’intérieur tout en dessinant le portrait d’une femme sous le feu croisé d’une multitude de personnage­s. Réjouissan­t.

Showgirl, conception et interpréta­tion de Marlène Saldana et Jonathan Drillet du 6 au 13 octobre, Théâtre Vidy–Lausanne ; dans le cadre du festival Charleroi Danse, le 21 octobre, Bruxelles.

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