Les Inrockuptibles

LES AMANTS SACRIFIÉS

Le Japonais s’aventure hors du registre fantastiqu­e et réussit à instiller au film un climat de trouble dès ses premiers plans.

- de Kiyoshi Kurosawa Thierry Jousse

Lion d’argent à la Mostra de Venise millésimée 2020, Les Amants sacrifiés décevra peut-être certain·es fans de Kiyoshi Kurosawa. Pas de fantastiqu­e, ni de fantôme, ni de poésie de la peur à l’horizon de son dernier film, mais un récit apparenté à l’espionnage, un récit qui vire au mélodrame, le tout en costumes puisque l’essentiel de l’action du film se déroule en 1941.

De plus, c’est, à l’origine, un téléfilm. Ce qui pourrait préjuger d’une mise en scène plus fonctionne­lle qu’à l’accoutumée. Pourtant, dès les premiers plans, on sent que le dernier Kiyoshi Kurosawa va être un film troublant. Un film où la mise en scène, légèrement distante, presque classique, imprime au récit une sécheresse bienvenue. Au centre de ces Amants sacrifiés, le couple formé par Yusaku, homme d’affaires qui vit à l’occidental­e, et Satoko, son épouse qui lui est parfaiteme­nt fidèle. Un couple qui va, au fil du récit, devenir de plus en plus étrange, de plus en plus opaque. À vrai dire, le mystère est d’abord et surtout du côté du personnage masculin qui joue double, voire triple jeu, notamment lors d’étranges voyages en Mandchouri­e. Dans ce qui ressemble de plus en plus à un jeu d’échecs, la femme va peu à peu se mettre au diapason de son mari.

Leur aventure commune va se complexifi­er jusqu’à se transforme­r en mise à l’épreuve presque hitchcocki­enne, période Les Enchaînés.

Comme son titre français ne l’indique pas, Les Amants sacrifiés, coécrit très finement par Kurosawa et Ryusuke Hamaguchi (le réalisateu­r de Drive My Car), est clairement du côté de son personnage féminin dont le film épouse, en grande partie, le point de vue. Ainsi, Yusaku, le mari, devient peu à peu une figure d’une extrême ambiguïté. Une ambiguïté qui fait évidemment son charme, même et surtout quand sa fourberie est avérée. Satoko, l’épouse, si elle est une victime, n’est pas pour autant dénuée de perversité. Ce qui rend le film plus passionnan­t encore. Dans ce récit captivant qui approche une forme de vertige, le cinéma joue un rôle de révélateur. Des films amateurs, projetés dans certaines séquences des Amants sacrifiés, y tiennent une place décisive. Sans rien révéler de leur teneur, on peut dire que, grâce à eux, Kurosawa joue encore davantage du flou entre documentai­re et fiction, vérité et mensonge, monstratio­n et dissimulat­ion. Une ambivalenc­e qui est au coeur des Amants sacrifiés et qui continue à nous hanter bien après la fin de ce film décidément insaississ­able.

Les Amants sacrifiés de Kiyoshi Kurosawa, avec Yû Aoi, Issey Takahashi, Masahiro Higashide (Jap. 2020, 1 h 55). En salle le 20 octobre.

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↑ Yû Aoi.

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