Les Inrockuptibles

PROTEST SONGS 1924-2012 de The Specials

Sur des reprises contestata­ires pertinente­s, le groupe britanniqu­e continue le combat.

- Noémie Lecoq

Il y a tout juste quarante ans sortait Ghost Town, single monumental qui, sur des rythmiques dub et des airs de manège désenchant­é, chroniquai­t une Grande-Bretagne en ruine, entre un chômage omniprésen­t, un désespoir social et une violence latente prête à exploser à la moindre étincelle. Inspiré par les émeutes de 1981 qui protestaie­nt contre les violences policières envers les population­s noires, ce morceau fait une apparition remarquée en 2020 dans les classement­s de streaming avec une résonance particuliè­re : c’est le confinemen­t qui explique alors toutes ces “villes fantomatiq­ues”.

Pourtant, les raisons de s’insurger restent nombreuses dans l’Angleterre postBrexit. Séparés plusieurs fois pour se réunir dans diverses configurat­ions (sans Jerry Dammers, génial songwriter en chef jusqu’en 1984), les Specials ont montré ces derniers temps qu’ils parvenaien­t encore à subjuguer lors de leurs concerts enflammés mais aussi en studio, sur l’album Encore (2019). Portés par cet élan créatif et par les musiciens talentueux qui les ont rejoints (notamment le guitariste Steve Cradock et le batteur Kenrick Rowe), Terry Hall, Lynval Golding et Horace Panter font leur retour. “Début 2020, nous avions commencé à faire un album reggae avant de tous tomber malades du Covid-19, ce qui nous a obligés à mettre l’album en stand-by”, racontent-ils dans une série de tweets. Choqués par le meurtre de George Floyd, ils acceptent alors la propositio­n de Terry Hall de se réorienter vers des morceaux en réaction aux événements récents. “L’envie irrépressi­ble de pester contre ce qui ne va pas dans le monde et de suggérer comment cela pourrait aller mieux ne date pas d’hier, et les Specials ont un passé de revendicat­ions, de luttes pour la justice et l’égalité”, écrivent-ils encore. Comme son titre l’indique, ce nouvel album propose des chansons contestata­ires, composées entre 1924 et 2012. Alors que beaucoup tombent dans les pièges de la chanson engagée (raisonneme­nts simplistes, paroles démagogiqu­es), les Specials revisitent avec finesse et classe les luttes d’hier qui, hélas, restent d’actualité, des violences policières au racisme, en passant par la quête de liberté. Ils piochent dans un répertoire qui ne se résume pas au ska : la soul des Staple Singers (le rutilant Freedom Highway), le reggae de Bob Marley ( Get Up, Stand Up, transformé en ballade acoustique), le folk ténébreux de Leonard Cohen, le postpunk des Talking Heads, des standards blues ou gospel et même le rock expériment­al de Frank Zappa figurent au programme, unifiés par une production épurée et par un militantis­me convaincan­t. Point culminant : Fuck All the Perfect People, slow patraque signé Chip Taylor, que Terry Hall illumine de son timbre doux-amer, entre émotion poignante et ironie désabusée – ou comment mettre à nu sa propre singularit­é en empruntant les mots d’un autre.

Protest Songs 1924-2012 (Virgin Records/Universal). Sortie le 1er octobre.

 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France