A BEGINNER’S MIND de Sufjan Stevens & Angelo De Augustine
L’éminent songwriter signe, à l’occasion d’une collaboration avec le protégé de son label, un retour à un folk enchanté et empreint de philosophie.
Ses adeptes l’attendaient depuis six années : le retour de Sufjan Stevens au folk matriciel de sa discographie. Ce n’est pourtant pas faute de fertilité de la part du compositeur américain qui, depuis son déchirant Carrie & Lowell (2015), a accouché de quatre albums à l’orientation électronique et new age. Une fois sorties les endeuillées méditations de Convocations, qu’il a enregistrées à la mort de son père biologique en point d’orgue de ce virage, le temps était donc venu pour le musicien de ressortir sa guitare du placard – perspective qui méritait que Sufjan Stevens ne reste pas seul pour mener à bien ce nouvel effort. C’est donc accompagné d’Angelo De Augustine, qu’il édite sur son label Asthmatic Kitty Records, que le natif de Detroit revient avec un disque acoustique. Mais après vingt ans de carrière et une quinzaine de disques à son actif, que peut-il avoir encore à catalyser ? C’est bien l’interrogation qui traverse
A Beginner’s Mind, enregistrement trompe-l’oeil vendu comme une collection de morceaux inspirés par les films que regardaient chaque soir les musiciens en résidence dans leur chalet au nord de l’État de New York. Un concept d’album né presque accidentellement quand les songwriters se sont rendu compte combien la vision de ces oeuvres influençait leur écriture et leur permettait de renouveler leurs contemplations existentielles.
Si les sources sont parfois référencées de façon évidente – Back to Oz, (This Is) The Thing –, c’est en tant que supports de libre interprétation que les musiciens les mobilisent. Comme l’adage (tantôt attribué à Frank Zappa, tantôt au compositeur Martin Mull ou à l’humoriste Steve Martin) le dit, “parler de la musique, c’est comme danser sur l’architecture” : c’est ici l’impossibilité de chanter le cinéma qui anime Sufjan Stevens et Angelo De Augustine, tous deux proposant leur propre interprétation d’une disparate sélection de films (les citations de Wim Wenders côtoient Hellraiser III) pour étayer un propos empreint de philosophie. La leur est faite d’une humilité qu’institue le titre même de l’album ( “l’esprit du débutant” en vf), propice à l’apprentissage.
Une trajectoire qui aurait de quoi déjouer les attentes – avec une ferveur presque messianique chez certain·es – autour du projet dont la sagesse contraste avec l’immédiate authenticité à laquelle le natif du Michigan a habitué son public.
C’est donc bien par sa subversion que A Beginner’s Mind se distingue. Si la rigoureuse constante d’un folk enchanteur est de mise, c’est dans la profondeur des symboles qu’il articule que l’album trouve son identité et sa place dans la discographie des musiciens.
A Beginner’s Mind (Asthmatic Kitty/ Modulor). Sorti depuis le 24 septembre.