L’historien de l’art revient brillamment sur le parcours et les visions de l’artiste insaisissable et antidogmatique, proche un temps de Marcel Duchamp et plus proche encore de la vie.
Avec son Francis Picabia, rastaquouère, l’historien de l’art Bernard Marcadé livre une biographie précise et malicieuse d’un artiste qu’il est à vrai dire impossible de définir autrement que de manière apophatique : par ses refus, par ce qu’il n’a pas été, par ce dont il n’a eu de cesse de se dissocier pour mieux s’affirmer tel qu’en lui-même. Et quand bien même – alors que lui, le peintre, le poète, le metteur en scène, l’homme à femmes, le flambeur et l’irrévérencieux a traversé au cours de cinquante années d’activité, entre Paris, New York, Martigues, Lausanne ou Mougins, les principales avant-gardes de la modernité, l’impressionnisme, le cubisme ou le dadaïsme –, sa répudiation de tout mouvement, tout principe, toute pureté et tout moralisme ne conduirait pas pour autant à l’affirmation d’une subjectivité. Picabia, parce qu’il refuse l’auteur au profit du personnage, qu’il saborde la “patte” en élisant l’imitation – ou le “copillage”, ainsi qu’il lui en sera, très tôt, fait reproche –, ne peut s’approcher que par un jeu gémellaire : la polarité antithétique qu’il entretient avec Marcel Duchamp. Tel serait alors l’un des fils conducteurs d’un ouvrage gargantuesque dont les quelque 700 pages disent à elles seules l’impossibilité de résumer la singularité de l’artiste, et la volonté conjointement maintenue par l’auteur de s’atteler à faire oeuvre de cet impossible. “PicabiaDuchamp : ce couple à lui seul provoque une véritable déflagration dans le XXe siècle artistique, et même au-delà”, lit-on ainsi dès les premières lignes de l’introduction, qui pose également une suite à la saga, elle aussi gargantuesque, que consacrait Marcadé, en 2007, aux mêmes éditions Flammarion, à l’autre pôle de l’antithèse. Des fils, cependant, il y en a plusieurs, et outre le sort fait à la peinture – pour Picabia, “malade d’elle-même, de son histoire et de l’Histoire” –, c’est peut-être cet autre, celui de l’image, qui rend Picabia si contemporain. “Moderne sans être moderniste”, ainsi que le formule Marcadé, et d’une contemporanéité ouverte, récursive sans être rétroactive, réactualisable sans être arrimée à aucune époque, accordée en cela à toutes les individualités rétives aux prépensés de leur temps, Picabia se refuse à regarder l’art pour plonger plus profondément dans la société. S’il gardera, tout au long de sa vie, une attention particulière à l’image reproduite, de la