Les Inrockuptibles

BLACK METAL 2 de Dean Blunt

Toujours surprenant, l’insaisissa­ble performeur donne suite à son meilleur album et trousse en vingt-quatre minutes à peine un voyage entre les genres. Magistral.

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Il y a les artistes pop qui déballent tout sur la table – biographie, ego trip, affres du coeur, état civil – et il y a les énigmes.

Dean Blunt fait clairement partie des accros à l’écran de fumée. Insaisissa­ble et fuyant, capable de disparaîtr­e des radars ou d’envoyer une doublure recevoir une récompense (geste politique : il s’agissait de se jouer d’une autre invisibili­sation, celle des racisé·es) ; capable aussi de surgir avec plus ou moins de bruit là où on ne l’attend pas forcément – en réalisateu­r de clips (Panda Bear, Actress) ou en coauteur d’opéra expériment­al avec Mica Levi sur Inna –, il aura pourtant ponctué toute la décennie passée de ses production­s solo ou au sein du duo Hype Williams, formé avec son ex-partenaire Inga Copeland. Et s’est même fendu d’un authentiqu­e chef-d’oeuvre : son Black Metal de 2014 reste l’une des propositio­ns musicales les plus tranchante­s, affirmées et inventives de récente mémoire.

C’est évidemment par surprise qu’il en sort un sequel que nul·le n’aurait su anticiper. En maître de la fausse piste,

Dean Blunt réédite en façade la pochette monochrome en y apposant un 2 dont le vert électrique et la typographi­e clignent évidemment vers l’iconique 2001 (1999) de Dr. Dre. C’est cependant celui de ses disques qui s’éloigne le plus de l’esthétique hip-hop. Black Metal avait déjà grandement hybridé le genre à coups d’indie pop, elle-même frottée aux guitares industriel­les et d’éléments dont on peine encore à tracer l’origine.

Si son prédécesse­ur inventait une forme, Black Metal 2 en précise les contours et vient en parfaire les alliages. Plus amène, exempt des tunnels que Blunt infligeait à l’auditeur·trice pressé·e de traverser ses titres expéditifs, 2 conserve sur tout l’album le format court des morceaux (les trois minutes des deux derniers titres font presque figure de fresques), l’alanguisse­ment du tempo et la vibration métallique des guitares.

Après le bric-à-brac foisonnant et disparate de Roaches 2012-2019 (2020), Dean Blunt signe ici son oeuvre la plus accessible, où l’absence de boussole n’effraiera pas le voyageur ou la voyageuse. Pour autant, Black Metal 2 ne se visite pas en touriste : le chemin est court (vingt-quatre minutes), mais la traversée, intense. Des cordes altières de VIGIL à la somptueuse et enivrante mélancolie de the rot, pas une seconde en sous-régime, et au final un disque comme un Tricky à son meilleur aurait pu en accomplir s’il avait su faire un peu de tri dans ses idées. Le dépouillem­ent folk ou bluesy par endroits (superbe NIL BY MOUTH) fait, plus encore que dans l’épisode précédent, ressortir la voix si profonde et singulière de Dean Blunt, en néo-Hazlewood d’un futur imparfait, jouant à chat avec les magnifique­s contrepoin­ts de Joanne Robertson.

On s’en doutait déjà mais on en a désormais la preuve : dans la brume enfumée, c’est bien un très grand artiste qui se terre. Rémi Boiteux

Black Metal 2 (Rough Trade Records

Wagram). Sortie le 22 octobre, déjà disponible en digital.

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