THINGS TAKE TIME, TAKE TIME
En paix, sourire en coin, la sauvageonne australienne est devenue un solide pilier du rock.
En 2019, après deux albums remarquables, Courtney Barnett a consolidé sa réputation de songwriter et guitariste. Sous haute influence nineties (Pavement, The Lemonheads, Sleater-Kinney), l’Australienne a trouvé un ton bien à elle, à la fois désabusé et espiègle, pour exprimer ses chroniques sarcastiques du quotidien. Schéma hélas bien connu : lessivée par les tournées, achevée par une rupture amoureuse, elle frôle le burn out. Ses piques pleines d’esprit se teintent d’amertume. Début 2020, elle décide de vivre seule à Melbourne, son refuge, pour se poser, prendre son temps et se ressourcer. Les confinements liés au Covid ont sans doute renforcé ce repli salutaire qui lui fait retrouver le sourire et l’inspiration.
“J’ai l’impression que je me suis mise intentionnellement à rechercher le côté positif des choses”, explique-t-elle dans le communiqué qui accompagne son troisème LP.
Toujours dans sa tradition de titres à rallonge, comme pour refléter son propre débit, Things Take Time, Take Time montre la jeune trentenaire sereine, maîtresse d’elle-même, remplie d’une énergie qui la fait aller de l’avant. Certains morceaux ont des noms qui ressemblent à des conseils bien-être : le pétillant Take It Day by Day, ou Write a List of Things to Look Forward To, entre folk et Americana, comme sait le faire son ami Kurt Vile, avec lequel elle publia Lotta Sea Lice en 2017. D’autres passages évoquent une dreampop vaporeuse (Here’s the Thing), l’antifolk
(If I Don’t Hear from You Tonight), le rock patraque du Velvet Underground
( Oh the Night et son piano cabossé, où la chanteuse semble vulnérable comme jamais), ou le lo-fi le plus épuré ( Turning Green et sa géniale coda instrumentale). Enregistré entre fin 2020 et début 2021, entre Sydney et Melbourne, ce disque a bénéficié d’un coup de main de sa compatriote Stella Mozgawa, fabuleuse batteuse de Warpaint, ici coproductrice et musicienne. Ensemble, elles ont peaufiné dix morceaux passionnants dès l’ouverture : avec Rae Street, premier single dévoilé en juillet, l’artiste signe un chef-d’oeuvre folk-rock, chanté d’une voix traînante rappelant étrangement celle d’une autre Courtney (Love). Aucun doute : on tient là l’une des rénovatrices les plus intéressantes de la scène rock d’aujourd’hui.
Du baume au coeur composé de pop lo-fi épurée, synthétique et flirtant avec les frontières du réel.
Lorsque le monde est brutalement réduit au silence par une pandémie mortelle, que faire d’autre qu’une musique permettant de s’évader d’un quotidien étouffant ? Même en restant chez soi… Après le succès d’estime de This Is How You Smile (2019), qui lui avait valu une certaine reconnaissance au-delà de son Brooklyn d’adoption, Roberto Carlos Lange revient avec un album plus ambitieux, plus affirmé. On pourrait même le considérer comme un manifeste de ce qu’il défend à travers ses chansons depuis ses débuts : ses racines et son identité latines (ses parents sont équatoriens), son refus d’une pop premier degré, son amour d’un folk épuré comme des synthés – il a fait l’acquisition d’un Rhodes, qui vient compléter une collection débutée jadis par un Odyssey 2800.
Alors que des titres groovy comme Outside the Outside ou Gemini and Leo incitent à se mouvoir sous des boules à facettes, d’autres invitent à l’introspection, ressuscitant les disparu·es et appelant à un avenir meilleur ( Agosto avec Buscabulla,
Aguas Frías, Mirror Talk). Sur Brown Fluorescence, Aureole ou Thank You for Ever, on plonge dans une atmosphère science-fictionnelle, un gothique victorien à la sauce 2.1. Enfin, on retrouve sa guitare antifolk à la Devendra Banhart, dont il est proche, notamment grâce à Wind Conversations. Ici, on croit parfois rêver éveillé·e, d’un songe étrangement apaisant.