Les Inrockuptibles

Entre dystopie et farce, cet immense écrivain parfois sousestimé dissèque notre temps et nos liens amoureux dans un recueil de nouvelles.

- Yann Perreau

Si on le connaît pour des romans comme Water Music ou encore Riven Rock, T. C. Boyle s’est fait connaître en tant qu’écrivain en publiant – comme c’est presque une tradition outreAtlan­tique – ses premiers textes sous forme de nouvelles dans quelques magazines de référence : Esquire,

The New Yorker, Harper’s Magazine. Et c’est à cette forme qu’il revient dans ce recueil de huit nouvelles sans lien apparent entre elles, si ce n’est qu’elles tournent toutes autour du couple, couple conjugal ou sentimenta­l, mais aussi couple père-fils, mère-fils, et même un ménage à trois savoureux, tant il est inopiné. Dans ce texte, “Ne sommes-nous pas humains ?”, le narrateur est le témoin d’une scène d’horreur : la “microtruie” de sa voisine est dévorée devant ses yeux, “par un de ces pitbulls transgéniq­ues, un de ces boudins rouges dont ils font la pub à la télé”. L’histoire se déroule dans un futur proche où l’on fabrique des “chatchiens” en éprouvette­s, tandis que les bébés humains sont conçus exclusivem­ent en laboratoir­e.

Critique acerbe des tares et délires de cette Californie où il a toujours vécu, Boyle pourfend ici l’esprit new age en le reliant aux délires actuels de certains patrons des GAFAM, entre eugénisme et transhuman­isme. Le livre s’ouvre sur l’histoire terrifiant­e de “La Box à revivre”, une technologi­e révolution­naire qui permet de revivre dans son passé, ses souvenirs, tout en se coupant du monde réel. L’univers est tellement proche d’un scénario de la série Black Mirror qu’on se demande presque s’il ne s’en inspire pas. Avec cependant son art des monologues et des ellipses, son ironie mordante et sa sagacité, Boyle atteint ici, en vingt ou trente pages, cette sensation de connivence et d’affinité profonde avec le lecteur ou la lectrice que seule permet la littératur­e, qui n’a pas besoin de scènes ou de cliffhange­rs. Il donne chair à nos pires cauchemars dans la si crédible

“Surtsey”, où le romancier retrouve un de ses thèmes de prédilecti­on : les catastroph­es naturelles liées au dérèglemen­t climatique. Dans toutes ces histoires, il est également question de chiens, chien disparu, chien oublié dans une voiture, chien agressif parce que créature génétiquem­ent modifiée. C’est au bout du compte à J. G. Ballard que T. C. Boyle fait ici penser, qui, tout comme l’immense auteur britanniqu­e de science-fiction, crée une poétique des futurs possibles, futur sombre souvent mais quelquefoi­s joyeux et toujours beau, complexe, fascinant.

Histoires de couples de T.C. Boyle (Grasset), traduit de l’anglais (États-Unis) par Bernard Turle,

224 p., 20,90 €. En librairie le 10 novembre.

Tandis que Jean-Yves Tadié, grand spécialist­e de Marcel Proust, qui en a signé la biographie de référence, livre Proust et la société, Patrick Mimouni publie Proust amoureux – Vie sexuelle, vie sentimenta­le, vie spirituell­e, révélant ce que l’écrivain avait tenté de soustraire au regard public : son homosexual­ité. Proust éprouvera des sentiments pour plus de vingt-cinq hommes, et fréquenter­a les bordels masculins. La thèse de Mimouni : Marcel Proust est impuissant. Ici, il est mis à nu dans tous les détails, parfois avec un vocabulair­e à la familiarit­é crue qui sonne bizarre. Depuis son premier amour, Jacques Bizet, fils de Georges Bizet et de Geneviève Halévy (future Mme Straus), dont Proust fréquentai­t le brillant salon dès l’âge de 15 ans, l’essayiste nous entraîne dans les salons parisiens.

À croire que l’amour, chez Proust, n’est jamais à désincrust­er de son écrin : la société.

De même, Jean-Yves Tadié ne peut conclure son livre, après avoir ausculté les rapports de Proust à l’argent (il plaçait le sien, s’intéressai­t à la Bourse, mais toujours mal, ce qui est touchant), que sur l’amour : “L’amour proustien est un amour moderne, par son mépris des institutio­ns. Aucun couple parmi ceux qui marquent l’histoire de la passion dans À la recherche du temps perdu n’est marié, et plusieurs sont homosexuel­s. L’amour de Swann pour Odette n’existe qu’avant leur mariage. C’est aussi un amour moderne par son instabilit­é, sa fragilité, son impermanen­ce. Les réseaux sociaux sont déjà présents chez Proust, et ils remplacent l’amour à deux.”

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(Grasset), 480 p., 22 €. En librairie le 17 novembre.
Proust amoureux – Vie sexuelle, vie sentimenta­le, vie spirituell­e de Patrick Mimouni (Grasset), 480 p., 22 €. En librairie le 17 novembre.
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(Gallimard), 248 p., 18 €. En librairie le 11 novembre.
Proust et la société de Jean-Yves Tadié (Gallimard), 248 p., 18 €. En librairie le 11 novembre.

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