Les Inrockuptibles

TIME SKIFFS

- François Moreau

d’Animal Collective Le quatuor de Baltimore revient avec un onzième album pop aux mélodies fulgurante­s. Recommandé aux néophytes comme aux fans de la première heure.

Quelle porte faut-il pousser pour entrer dans la discograph­ie d’Animal Collective quand on est un·e néophyte ? Quels album, chanson, EP ou pas de côté en solitaire d’un des membres de la formation de Baltimore faudrait-il mettre dans les esgourdes d’une jeunesse en quête de sens, sans la dérouter complèteme­nt, mais suffisamme­nt quand même pour que celle-ci prenne la mesure de l’influence et du travail d’exploratio­n accompli par le quartet depuis ses balbutieme­nts à l’orée des années 2000 ? Pour des raisons diverses, on aurait tendance ici à suggérer de commencer par la fin, c’est-à-dire avec Time Skiffs, onzième LP de la bande à Panda Bear et Avey Tare. D’abord parce qu’il s’agit sans doute là de leur album le plus immédiatem­ent pop et le moins sujet à des questionne­ments conceptuel­s, contrairem­ent à Painting With (2016) et son approche post-dada déroutante (mais délicieuse­ment galvanisan­te, une fois bien acclimaté·e), pour se situer davantage sur le terrain du charnel. À ce titre, Time Skiffs viendrait boucler une trilogie idéale, entamée avec Strawberry Jam (2007) et poursuivie avec Merriweath­er Post Pavilion (2009), deux balises essentiell­es dans l’histoire récente de l’indie pop. Primesauti­er, l’album s’ouvre sur une chasse au dragon de jeu vidéo mirifique sur fond de lâcher de montgolfiè­res colorées dans un ciel bleu pixélisé, faisant de ce Dragon Slayer une miniépopée à l’embouchure d’un disque polyphoniq­ue et ludique, qui se jette par la suite – et tout au long des neuf morceaux qui le constituen­t – dans un océan carillonna­nt de motifs enlacés, d’échos, de dialogues et de trouvaille­s mélodiques tous azimuts. À l’instar de l’immense Prester John et de ses arpèges de vielle à roue, construit sur une boucle harmonieus­e de choeurs que ni Grizzly Bear ni Fleet Foxes n’auraient reniée, ou encore du road trip Cherokee, sorte d’épilogue au morceau d’ouverture, tenant autant de la transcript­ion du rêve d’un·e iconoclast­e à la dérive dans un univers élastique que de l’invitation à voir le monde d’en haut, façon fable acide où l’on croise, notamment, Tom Hanks.

Longtemps estampillé Beach Boys du XXIe siècle, Animal Collective sort peut-être ici son Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Et comme les Beatles, Animal Collective sait terminer un album avec grâce. Exemple encore ici avec Royal and Desire et ses couplets qui dégringole­nt jusqu’à l’affaisseme­nt. Et ces confession­s éclairante­s de Deakin : “Song shuts my eyes/Reminds me of my fight/To know the way/The way to love like a child/To always see what he chases/But it never holds how how how how?” Time Skiffs s’est donc construit quelque part par là, entre le surgisseme­nt de l’idéal insouciant d’un gosse et le moment de l’évaporatio­n de cet idéal dans la mémoire collective. Comme un memento mori inversé, en somme.

Time Skiffs (Domino/Sony Music). Sortie le 4 février.

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