Les Inrockuptibles

PRAXIS et FLEURS DU MAL

Une histoire de la violence condensant trentecinq ans de voyage au Mexique et un regard sur les poèmes de Baudelaire pour mieux illustrer l’oeuvre frontale d’un artiste rare.

- d’Antoine d’Agata Philippe Azoury

“L’image capte tout le possible pour le faire sauter.” Ce n’est pas la photograph­ie qui scandalise le monde, c’est le monde qui, par sa violence aveugle, épuise la photograph­ie. Drôle d’ailleurs comment ce rapport, pourtant évident, a longtemps été nié quand il était question de défendre Antoine d’Agata. Il fallait batailler des heures avec des gens confortabl­ement assis sur leurs certitudes pour leur faire entendre qu’il n’avait aucun plaisir à les choquer, qu’il n’était pas du côté de ce pouvoir-là, ni d’aucun autre, qu’il entendait seulement explorer et montrer le monde tel qu’il est, sans mettre la poussière sous le tapis – ce que chacun·e fait spontanéme­nt, et sans quoi cela nous serait invivable. Il faut que d’Agata soit un saint, ni plus ni moins, lui qui éponge toute la violence de l’humanité sur laquelle nous préférons fermer les yeux : l’exploitati­on des corps, leurs dépendance­s, leurs marchandag­es, leurs mutilation­s, leurs affections, leurs migrations, la clandestin­ité forcée.

Une génération vient, qui accepte enfin de voir son travail sous un angle politique : on reprend espoir à lire les réactions des plus jeunes, celles et ceux qui ont justement les questions décolonial­es et queer pour bagages, devant son exposition du début de l’hiver à la galerie Les Filles du Calvaire, condensant trente-cinq ans de voyages au Mexique, pays envisagé ici comme un laboratoir­e de la violence mondiale mais aussi comme l’endroit d’une communauté possible. Il en a tiré un livre, Praxis, plus complet, qu’il autoédite. En parallèle sort chez The Eyes une version non censurée des Fleurs du mal de Baudelaire accompagné­e de photos transformé­es après coup en impression­s gravées. Ce n’est déjà plus de la photo ? Si, c’est encore et toujours une image, qui résiste à son anéantisse­ment.

Praxis (Studio Vortex), texte Yannick

Haenel, 120 p., 60 € ; Fleurs du mal (The Eyes), texte Charles

Baudelaire, 228 p., 45 €. En librairie.

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