Les Inrockuptibles

AUTOPORTRA­IT AUX FANTÔMES

L’écrivain revisite une oeuvre hantée par l’impermanen­ce. Envoûtant.

- de Didier Blonde Nelly Kaprièlian

Nous vivons entouré·es de fantômes : ils évoluent en nous, souvenirs de nos morts, autour de nous dans les rues, sur les images de cinéma, qui ont capturé leurs corps pour toujours et les font revenir toutes les nuits. Didier Blonde ne traque pas tant les fantômes qu’il en est hanté. Il leur a dédié une oeuvre discrète mais prolixe, au parfum entêtant, aux images tenaces – au point que, discrète, elle l’est de moins en moins. Dans Les Fantômes du muet (2007), il y avait ce moment où il reconnaiss­ait, dans une scène du Fantômas

de Louis Feuillade, la fenêtre de l’appartemen­t de ses grands-parents – encore vivants, ils devaient se trouver juste derrière ces murs, pendant que la caméra de Feuillade enregistra­it…

Autoportra­it aux fantômes est celui d’un obsessionn­el, dressant le catalogue hyperroman­esque de toutes les figures de fantômes qui l’ont traversé. Certains chapitres déjà parus en revue sont ici augmentés d’autres, inédits, et le livre forme un tout émouvant, comme le bilan d’un geste d’écrivain sans cesse consistant, cohérent, en forme d’enquête sur ses propres fantômes : car quel est celui, secret, qui a entraîné tous les autres dans sa vie ? C’est au fantôme d’un père sourd auquel aboutit ce texte, comme une réponse, la réparation de l’énigme matrice.

Il y a eu bien des livres, tous très beaux. Ici, Blonde les revisite en se penchant sur les thèmes qu’ils mettent en scène : films muets disparus aux présences fantomatiq­ues par excellence, actrices mortes trop jeunes – impression­nant récit du suicide d’une certaine Claude France le 3 janvier 1928, avec reconstitu­tion du déroulé de sa dernière journée –, acteurs tombés dans l’oubli, lieux de Paris détruits, soldats morts lors de la Première Guerre mondiale.

À travers tous·tes, c’est contre l’impermanen­ce des choses et des êtres que Didier Blonde entreprend de lutter, nous invitant à entrevoir un autre monde où ils et elles vivraient toujours. “J’aime les

peut-être, il semble, paraît-il, on dirait, les conditionn­els et futurs antérieurs que j’utilise trop, sans doute. Ils dédoublent la réalité

[…], me font passer derrière ou de l’autre côté.”

Autoportra­it aux fantômes de Didier Blonde (Gallimard), 144 p., 12 €. En librairie le 3 février.

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