LE PAYS DES AUTRES 2 – REGARDEZ-NOUS DANSER
L’autrice prolonge à merveille sa fiction intime et politique de l’histoire du Maroc en racontant “les années de plomb” qui ont suivi la fin du protectorat français.
1972. De sa terre aride, Amine a fait un domaine prospère. Au bord de la piscine qu’il a fait construire, il donne avec Mathilde, sa femme, une réception grandiose : sa fille Aïcha se marie. Mais alors que le gotha du Maroc indépendant festoie à l’ombre des cyprès, le patriarche angoisse. Assailli par des visions d’horreur, il imagine l’eau de son bassin virer au rouge vif, teintée par le sang des invité·es en tenue d’apparat que des paysans des alentours auraient massacré·es à la fourche. Pourtant, aucun drame ne troublera la soirée. Mathilde a fait livrer des bouteilles de Coca et du poulet aux spectateur·trices de la noce, et Amine peut offrir à sa fille la première danse de la soirée.
Deux ans après le premier tome du Pays des autres, Leïla Slimani livre aujourd’hui la suite de sa saga familiale et historique, librement inspirée du destin de ses grands-parents et parents. Dans ce deuxième volet sous-titré Regardez-nous danser, l’autrice francomarocaine et lauréate du prix Goncourt 2016 (Chanson douce, Gallimard) convoque à nouveau les proches et membres de la famille Belhaj dont on suit les épiphanies et les drames au gré des mouvements de l’Histoire. Avec une dextérité envoûtante et un souffle ardent, Slimani s’attache à mettre en fiction et en chair les “années de plomb” qu’a connues le Maroc après son indépendance de 1956. Des années mortelles, sous le règne de Hassan II, marquées par la violence et les arrestations, les attentats et les compromissions.
On y découvre paradoxes et fractures, dans un pays où, pendant deux décennies, les opposants politiques disparaissent dans les prisons secrètes du régime alors que la bourgeoisie privilégiée s’ouvre au capitalisme. Où la jeunesse danse sur la côte tandis que les filles se cachent pour avorter. Où le roi fait tirer à balles réelles lors des manifestations étudiantes alors que les écrans de télévision et de cinéma font s’agiter les ombres de la modernité dans les foyers du peuple. Incarnant chaque nuance et remous de cette période à travers les élans et le destin de ses personnages flamboyants, souvent féminins, Leïla Slimani lie – encore et toujours – l’intime au politique, signant le portrait magistral d’un pays et d’une époque sous-représentés dans la littérature. Un texte comme un appel à la réflexion, à la mémoire et à la curiosité bienveillante.
Le Pays des autres 2 – Regardez-nous danser de Leïla Slimani (Gallimard), 363 p., 21 €. En librairie le 3 février.