DANS LA MER VIVANTE DES RÊVES ÉVEILLÉS
La biosphère s’efface peu à peu et deux frères et une soeur se déchirent face à l’agonie de leur mère. Une belle méditation sur la vie et la mort.
Lorsque les personnages du nouveau livre de Richard Flanagan regardent leurs iPhone, les phrases se suivent sans respiration, sans ponctuation, nous précipitant dans le flux ininterrompu des posts Facebook, des likes, des mèmes et des breaking news, qui se résument à leurs titres anxiogènes. Nous sommes au coeur de l’Australie des mégafeux, de la canicule et de la disparition accélérée de la biosphère. Et puis ça ralentit quand Anna, le personnage principal, se retrouve à contempler depuis son avion une ville au loin, rouge d’un incendie qui monte dans le crépuscule. Arrêt sur image : du sens émerge enfin, et sa voisine, une parfaite inconnue, la comprend mieux que son fils, sa mère, ses frères ne l’ont jamais comprise.
Dans sa première partie, Dans la mer vivante des rêves éveillés, huitième roman du grand romancier australien, joue sur ces ruptures de rythme pour signifier le caractère intenable de notre situation face à la biosphère qui disparaît morceau par morceau : faut-il avancer et agir au plus vite, ou ralentir et réfléchir ? Flanagan transforme la réalité terrible du changement climatique en rivières de mots, en visions fascinantes, effrayantes et sublimes.
Des bouts du corps d’Anna, doigt, puis oeil, s’évanouissent également sans que personne ne s’en aperçoive. Et la mère, Francie, vivante mais morte déjà, agonise sur son lit d’hôpital tandis qu’Anna et ses frères tentent de la “sauver”, ou plutôt s’acharnent à la maintenir en vie. Courage ou cruauté ultime ? Des idéaux humains émergent malgré tout du marasme : amour, espoir, dignité.
Ils se dessinent en toile de fond, comme des indices qui s’accumulent derrière un rideau de flammes pour mieux épaissir le mystère toujours plus grand de nos existences fragiles, de notre avenir menacé.
Dans la mer vivante des rêves éveillés de Richard Flanagan (Actes Sud), traduit de l’anglais (Australie) par France Camus-Pichon, 288 p., 22,50 €. En librairie le 2 février.