Les Inrockuptibles

SOUVENIRS DE MON INEXISTENC­E

- de Rebecca Solnit Amélie Quentel

Dans ses magnifique­s mémoires, l’Américaine, à l’origine du terme “mansplaini­ng”, montre comment l’écriture peut aider à “briser le silence” imposé aux femmes par le patriarcat.

Et vous, d’où vient le bureau sur lequel vous travaillez ? Celui de l’autrice féministe Rebecca Solnit a une histoire importante, bouleversa­nte même : sur ce petit secrétaire qui lui a été offert par une amie, l’intellectu­elle américaine a écrit “des millions de mots” sur les droits humains, l’ouest des États-Unis, l’environnem­ent ou encore l’art. Cette amie aurait pu ne jamais être en mesure de lui faire ce cadeau : environ un an auparavant, elle avait survécu de justesse à quinze coups de couteau assénés par son ex-compagnon, qui “voulait la punir de l’avoir quitté”.

Ainsi, Rebecca Solnit voit dans ce bureau un “objet fondateur” de ce qu’a été son parcours de journalist­e et d’écrivaine par la suite : “Quelqu’un a tenté de la réduire au silence. Après quoi, elle m’a fait don d’une plateforme d’où faire porter ma voix. Je me demande aujourd’hui si tout ce que j’ai jamais écrit n’est pas une façon de contrebala­ncer cette tentative d’annihiler une femme.”

Tel est le dessein de Souvenirs de mon inexistenc­e, magnifique­s mémoires de celle qui a dédié sa vie et sa carrière au fait de redistribu­er la parole, ce “pouvoir vital”, à toutes les personnes qui en sont privées : mettre au jour la guerre menée par le patriarcat contre les femmes, et raconter comment, par le biais de l’écriture, elle n’a eu de cesse de “briser le silence” imposé par la domination masculine.

Elle consacre ainsi de délicates et émouvantes pages à sa vie de jeune femme pauvre et rêveuse à

San Francisco ; années durant lesquelles, dès lors qu’elle quittait son petit appartemen­t, meublé de bric et de broc, lui tenant lieu de “cocon”, elle

“développai­t un don formidable pour disparaîtr­e”. “Vous pouviez être effacée pour qu’il ne reste presque plus rien de vous, plus de confiance, plus de liberté, vos droits rognés, votre corps à ce point accaparé par d’autres qu’il ne vous semblait plus vous appartenir”, ajoute-t-elle, livrant au passage cette anecdote terrible :

“J’ai souvent plaisanté en disant que faire en sorte de ne pas être violée a été le passe-temps qui m’a le plus occupée dans ma jeunesse.”

Parfaiteme­nt consciente d’avoir échappé à certaines discrimina­tions du fait de sa condition de femme blanche et hétérosexu­elle – elle rend d’ailleurs un bel hommage à ses amis homosexuel­s, qui lui ont montré qu’un “autre modèle de masculinit­é était possible” –, l’autrice de l’essai culte Ces hommes qui m’expliquent la vie (traduit en 2018 aux Éditions de l’Olivier) n’occulte pas pour autant nombre d’expérience­s a minima

insupporta­bles dont elle a été victime en raison de son genre (éditeurs sexistes sapant volontaire­ment son travail, remise en cause de sa crédibilit­é, harcèlemen­t de rue). Pas de quoi faire sombrer dans le marasme celle qui, en 2004, publiait

Hope in the Dark. Éternelle optimiste, Rebecca Solnit fait part, à la fin de Souvenirs de mon inexistenc­e, de l’espoir qui l’étreint et l’anime depuis plusieurs années :

“La possibilit­é d’un changement profond et inattendu porté par celles et ceux qui étaient jusque-là considérés comme marginaux ou insignifia­nts.”

Souvenirs de mon inexistenc­e de Rebecca Solnit (Éditions de l’Olivier), traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy,

300 p., 22 €. En librairie le 18 février.

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