Les Inrockuptibles

LES VOYAGES DE KITARO T.1

Les éditions Cornélius poursuiven­t la publicatio­n de l’oeuvre du grand mangaka japonais adepte des yōkai, ces monstres mythiques qu’il fait voyager ici hors de leur pays d’origine.

- de Shigeru Mizuki Joseph Ghosn

L’oeuvre de Shigeru Mizuki traverse plusieurs années, et fait un va-et-vient entre l’Histoire et la mythologie, les grands récits et les petites fictions. Celles-ci sont plus ou moins liées à des récits d’horreur et s’organisent autour d’un personnage créé par Mizuki : le jeune et hideux Kitaro.

Depuis une quinzaine d’années, les éditions Cornélius s’évertuent à faire paraître des livres du dessinateu­r japonais, reprenant toutes les facettes de son travail, et ont ainsi déjà publié plusieurs volumes consacrés à Kitaro. Elles débutent ici un cycle en deux volumes dévolus à la lecture d’un moment particulie­r chez Mizuki, lorsqu’il envoie son personnage hors du Japon. Une exploratio­n du monde, donc, à la façon de Candide et en forme, surtout, de quête toujours irrésolue : celle de parcourir un faisceau de pays et d’y retrouver quelque chose de l’âme japonaise. Comme si le déplacemen­t ne valait que par ce qu’il apprend au personnage de lui-même, de ses racines et pour ce que nous, lecteur·trice, trouvons de nous-même dans un ailleurs qui n’est autre qu’un miroir révélateur. Mizuki accomplit cela en s’emparant des figures classiques de monstres japonais, les yōkai, que son personnage combat à longueur de récit, et qui comptent parmi les plus dessinées par l’auteur – il en a fait plusieurs livres qui sont autant de bréviaires ou d’anthologie­s de ces créatures mythiques du Japon. Ici, d’histoire en histoire, le monstre s’apparente à un virus : il circule, il est partout, il mute, il a sans cesse une apparence et une personnali­té différente­s, tout en restant fidèle à sa nature profonde : un être mythologiq­ue, qui capte quelque chose de vos peurs, et dévoile ce qui vous fait vibrer, voire rêver. Kitaro, on le voit et on le sait, est d’abord et essentiell­ement un fil rouge permettant de suivre le chemin des monstres et de les regarder, d’en comprendre l’âme, la teneur. Confrontés à d’autres traditions, d’autres pays, ils ne changent guère : ils sont japonais en diable. Est-ce cela que Shigeru Mizuki cherchait : capter l’immuable du Japon dans des récits qui semblent pointer le sens du déplacemen­t de ses concitoyen·nes ? Son dessin évolue lui aussi dans cette optique : il se déplace en usant parfois de techniques antinomiqu­es, allant du plus grotesque au plus réaliste, mixant le comique avec le drame, comme en un même geste qui pointe la vacuité du mouvement face à la rapidité du monstre : le virus va plus vite que vous, semble-t-il dire. Mais cela ne nous empêche pas de continuer à vivre. Des récits pour notre époque, sans doute.

Les Voyages de Kitaro t.1 de Shigeru

Mizuki (Éditions Cornélius), traduit du japonais par Fusako Halle-Saito,

224 p., 16,50 €. En librairie le 24 février.

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