Les Inrockuptibles

ARTHUR RAMBO de Laurent Cantet

- Marilou Duponchel

S’inspirant de l’affaire Mehdi Meklat, le réalisateu­r d’Entre les murs examine subtilemen­t la mise au ban d’un transfuge à la personnali­té trouble.

La question de la trajectoir­e est la grande affaire du cinéma de Laurent Cantet, qui n’a de cesse d’en filmer les progressio­ns comme les impasses. Ce que l’on est, d’où l’on vient, où l’on va : ce refrain tourne sans doute dans la tête de ses personnage­s, êtres solitaires confrontés à l’énergie tantôt galvanisan­te, tantôt étouffante du groupe.

Pour Arthur Rambo, le cinéaste s’est inspiré librement de l’affaire Mehdi Meklat, ce jeune écrivain prodige venu de banlieue et banni du monde médiatique après la découverte d’anciens tweets misogynes, antisémite­s et homophobes publiés par ses soins, sous pseudonyme (ici, Arthur Rambo), qu’il justifiera, pour sa défense, en invoquant la figure d’un double maléfique, une pure invention de fiction. De ce matériau inflammabl­e qui embrasse des sujets liés à l’appartenan­ce de classe, à la possibilit­é (ou pas ?) de s’en extraire, mais aussi au racisme systémique, à la liberté d’expression, Cantet tire un film alerte et nerveux, proche du polar.

Il s’ouvre quand Karim D., auteur admiré et respectabl­e, s’apprête à participer à une prestigieu­se émission de télé. La caméra est braquée sur le regard du comédien Rabah Naït Oufella, captivant de résilience et de fêlures. Plus loin, un écran sert de retour plateau, tandis que celui d’un téléphone immortalis­e cet instant de gloire, avant qu’une multitude d’autres apparaisse­nt et que, en off, des tweets élogieux soient publiés. En une séquence, c’est toute la fabrique des images et la circulatio­n effrénée de l’info qui se manifesten­t, et le coeur battant d’un film qui se précise.

↖ Arthur Rambo observe et

À gauche, Rabah décrit avec une forme Naït Oufella. d’empathie distante – sans chercher de réponse, ouvert à la complexité humaine – l’effritemen­t d’une respectabi­lité durement acquise. Banni, Karim D. devient ce monstre à deux têtes à l’intérieur duquel cohabite l’impossible : d’un côté, le transfuge qui a adopté les codes de Paris, son langage (et Rabah Naït Oufella sait rendre son élocution soutenue ambiguë, souple et artificiel­le), de l’autre, le polémiste haineux. Si l’énigme reste irrésolue, le film ne cesse de réfléchir à la question de la place, du rang, de l’imposture. Dès lors, Arthur Rambo se déplie comme l’examen d’une chute, filmée presque en temps réel, qui se traduit ici par une attention portée aux lieux et un sens du cadre symbolique et politique. Karim D. dégringole d’un somptueux rooftop parisien, où il est célébré, au sous-sol du métro. Plus tard, on le voit traverser le périph, ligne de démarcatio­n, et retourner dans son quartier et chez sa mère comme un enfant maudit. Là, Arthur Rambo parvient à attraper un peu de l’état schizophrè­ne et fragmentai­re d’une France qui se rêve réconcilié­e mais se trouve gangrenée par ses mécanismes d’assignatio­n et de déterminis­me.

Arthur Rambo de Laurent Cantet, avec Rabah Naït Oufella, Sofian Khammes, Antoine Reinartz

(Fr., 2021, 1 h 27). En salle le 2 février.

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