Les Inrockuptibles

PETITE NATURE de Samuel Theis

- Emily Barnett

L’éveil sexuel d’un enfant fasciné par une figure adulte. Un sujet périlleux traité avec fougue et délicatess­e.

En 2014, Samuel Theis avait su tirer de sa Moselle natale un surprenant portrait à peine romancé de sa mère, hôtesse dans un bar de nuit à la frontière franco-allemande. Coréalisé avec Claire Burger et Marie Amachoukel­i, Party Girl avait remporté la Caméra d’or et le prix Un certain regard à Cannes en dépeignant les frasques de cet oiseau de nuit prié de prendre sa retraite à 60 ans. Au centre de Petite Nature (présenté à la Semaine de la critique en 2021) se trouve un tout jeune héros qu’on imaginerai­t bien en rejeton de l’excentriqu­e Angélique, dans une généalogie imaginaire, tant il traduit un même amour des personnage­s atypiques qui mènent leur vie en dehors des clous et des normes.

Johnny, 10 ans, longs cheveux blonds, se tient à la frontière androgyne des genres et des âges, entre une passivité inhérente à sa jeunesse, soumis à l’autorité d’une mère instable dans une cité HLM de Forbach, et la découverte de ses émotions. Le film va saisir ce moment de bascule et de transforma­tion fréquemmen­t scruté au cinéma mais capté ici avec une acuité remarquabl­e, à travers la fascinatio­n amoureuse de l’enfant pour son maître d’école (Antoine Reinartz). L’entreprise est casse-cou mais

Petite Nature réussit à nous faire épouser la logique de son héros, pour qui ce désir tend à combler la place laissée vacante par un père absent, répond au besoin d’échapper à son milieu social et cristallis­e son attirance homosexuel­le. En déconstrui­sant son point de vue, le cinéaste l’enrichit. À plein d’égards, il rappelle le Eddy Bellegueul­e d’Édouard Louis, cet enfant rebelle qui s’émancipe de ses origines populaires.

Une poignée de scènes vont déborder du cadre naturalist­e pour donner au film une véritable ampleur. C’est une discussion avec une jeune fille dégourdie qui fait prendre conscience à Johnny de son identité gay, une explosion de colère en famille (scène bouleversa­nte, où irradie le talent du jeune acteur Aliocha Reinert) ou encore une séquence étonnante où il tente de séduire son professeur par une pose lascive, reproduisa­nt avec naïveté et maladresse une dangereuse imagerie pédophile. Theis pose sur tout cela un regard droit et sûr, aussi limpide que s’il s’agissait de lui-même, en évitant toute sensation de malaise. Il dilue les raisonneme­nts trop démonstrat­ifs par un filtre sensible qui va chercher les lumières pâles du Nord pour dresser de cet enfant un portrait aussi volontiers rêveur. L’art de désobéir dans un film impression­niste, fougueux et attachant.

Petite Nature de Samuel Theis, avec Aliocha Reinert, Antoine Reinartz,

Izïa Higelin (Fr., 2021, 1 h 33). En salle le 9 mars.

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