Les Inrockuptibles

FUNAMBULES d’Ilan Klipper

- Ludovic Béot

Une plongée dans des univers psychiques troublés et restitués avec une créativité saisissant­e.

“Jamais la psychologi­e ne pourra dire sur la folie la vérité, puisque c’est la folie qui détient la vérité de la psychologi­e”, écrivait Michel Foucault dans Maladie mentale et psychologi­e. Si la psychologi­e, c’est-à-dire la science de la compréhens­ion, est ici impuissant­e, il reste la transfigur­ation, soit le cinéma. On pourrait résumer le geste de Funambules ainsi. Après la police dans

Flics (2006) et Commissari­at (2009), puis une première incursion dans le monde hospitalie­r avec Sainte-Anne, hôpital psychiatri­que (2010), Ilan Klipper poursuit son étude de l’univers psychiatri­que, cette fois-ci du côté de l’intime plutôt que de l’institutio­n.

Le cinéaste suit notamment Aube, Yoan et Marcus, atteint·es de troubles psychiques, des individus en marge que son film propulse au centre. Entre leurs domiciles et leurs séjours à l’hôpital, ces êtres à la fois étranges, charismati­ques, bouleversa­nts et insondable­s sont révélés par la caméra qui les écoute sans entrer dans une logique de déchiffrem­ent, sans chercher l’origine de leur pathologie. L’idée forte de Funambules consiste à s’emparer des symptômes pour en façonner divers motifs formels, restituant à l’image ces mondes intérieurs jusqu’à mettre au jour une forme de poésie étrange et impure. Ainsi, l’espace mental d’Aube, qu’elle décrit comme fait de formes et de couleurs vives, devient celui des scènes dans lesquelles elle apparaît. De même, un syndrome de Diogène – trouble qui consiste à accumuler les objets de façon excessive – dessine à l’écran des tableaux hallucinan­ts à l’émotion esthétique proche d’une installati­on d’art contempora­in. Difficile de parfaiteme­nt saisir la trajectoir­e du film, et c’est aussi toute sa force : il reste tapi dans une bizarrerie dont le dispositif hybride, entre réalisme et fantastiqu­e, réel et fiction, distille un trouble aussi singulier que puissant.

Funambules d’Ilan Klipper (Fr., 2020,

1 h 15). En salle le 16 mars.

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