Les Inrockuptibles

(LOIN DES) RIVAGES

- de Bon Voyage Organisati­on

Un beau trip en forme d’hommage à la musique sud-américaine. Entre samba, bossa et réalisme magique.

Certain·es embrassent leur époque, d’autres pissent contre le vent, arguant ne voir dans l’expression la plus saillante de leur temps que médiocrité et manque cruel d’horizons lointains. Le cas Bon Voyage Organisati­on est à ce titre éloquent, tant la formation à géométrie variable fomentée par Adrien Durand semble à rebours de tout ce qui fait de l’après-2000 une ère de démystific­ation. Deux ans après La Course (2020), dont la trajectoir­e aura été stoppée net par la pandémie, BVO rempile avec un troisième album qui reprend là où l’orchestre nous avait laissé·es : sur le tarmac d’un aéroport de fortune, quelque part en Afrique du Nord. (Loin des) Rivages nous entraîne, lui, en Amérique du Sud, territoire truffé de vestiges et de fantômes, avec, en guise d’introducti­on, une reprise de Naima de John Coltrane (écrite en hommage à sa femme Juanita). Le morceau s’ouvre sur une montée synthétiqu­e répétant le motif phare du thème, comme une résurgence extraterre­stre de cette mélodie ancestrale, lui conférant une mélancolie de ballet interstell­aire. Mise en boîte live, en cinq jours seulement, par une dizaine de musiciens et musicienne­s déjà présent·es au générique de La Course, cette nouvelle étape ressasse quelques vieilles obsessions soft rock de son auteur, signalées notamment sur le deuxième titre, Yuseef (Trouver le soleil dans chaque jour de pluie),

l’appétence pour les sessions free jazz méditative­s (Passage) et invoque les sonorités d’une enfance passée à l’ombre des rythmes de la samba, de la bossa et des grands orchestres de jazz latin, comme en témoignent deux des pièces les plus marquantes, le single Et s’éveillent

et le prodigieux Le Sentier des orpailleur­s,

qui semble rejouer la cavalcade de contreband­iers lancés sur un rail en pleine forêt amazonienn­e avec un finish façon BO de James Bond.

Si l’écrin rappelle les grandes heures de l’exotica et de la musique lounge (on pense au compositeu­r mexicain Juan García Esquivel), le propos revêt une dimension plus intime, surtout quand Adrien Durand se retrouve seul au piano sur le très grave, très français, Première Vue d’Apacheta, introducti­on à Apacheta,

sorte de procession mystique convoquant le merveilleu­x. L’émotion de découvrir ces assemblage­s de pierres au détour d’un chemin dans les Andes est palpable. Autant que celle d’écouter une musique qui a l’outrecuida­nce de penser qu’elle peut encore déchiffrer le cosmos. François Moreau (Loin des) Rivages (L’Invitation Musicale/Modulor). Sortie le 4 mars. Concert le 29 juin à Paris (Gaîté Lyrique).

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