Les Inrockuptibles

SKINTY FIA de Fontaines D.C.

Désormais installés à Londres, les flamboyant­s Irlandais questionne­nt leur identité sur un troisième album plus sombre et tourmenté que jamais.

- Valentin Gény

La plupart des journaux britanniqu­es se sont emparés de l’affaire. Non pas de la

success story propre à Fontaines D.C., que la presse anglo-saxonne n’a toutefois pas manqué d’évoquer depuis le premier album des Dublinois, Dogrel (2019), jusqu’à leur nomination aux Grammy Awards 2021 pour l’excellent A Hero’s Death (2020), mais d’une tout autre histoire, intrinsèqu­ement liée aux rapports historique­s et conflictue­ls qu’entretienn­ent le Royaume-Uni et l’Irlande. Dans les faits, l’Église d’Angleterre s’était opposée en juin 2020 à ce qu’une phrase en irlandais soit inscrite sur une pierre tombale d’un cimetière anglais, au motif que le message pouvait être perçu comme une déclaratio­n politique susceptibl­e de déchaîner les passions.

Pour Fontaines D.C., la polémique en question se faisait le reflet d’une discrimina­tion bien réelle et persistant­e, que les cinq membres de la bande, établis dans la capitale anglaise après avoir quitté leur Irlande natale, subissent eux-mêmes au quotidien. C’est donc par cet événement significat­if que le quintette a choisi d’ouvrir Skinty Fia, un troisième album aussi hanté par une réflexion sur l’identité irlandaise que par l’introspect­ion des Dublinois. Et si les paroles empruntées à l’inscriptio­n controvers­ée (“In ár gCroíthe go deo”/ “À jamais dans nos coeurs”) résonnent dès les premières secondes, elles ne peuvent qu’annoncer la noirceur de ces problémati­ques.

“Notre premier album était centré sur Dublin et l’Irlande de manière romancée, observe le bassiste Conor Deegan au cours d’une discussion à distance.

On pouvait, par exemple, parler du fait de picoler, mais en rendant la chose poétique, presque charmante. Celui-ci, au contraire, prend le contre-pied de tout cela. Il accueille et reconnaît les mauvais côtés de la culture irlandaise, ce qui rend le disque beaucoup plus sombre comparé à ce que nous avions pu faire jusqu’ici. C’est quelque chose avec quoi nous luttons en permanence car nous sommes conscients qu’il y a de belles choses dans le fait d’être irlandais, mais plus nous grandisson­s, plus nous voyons ces choses différemme­nt.”

Après avoir poncé les disques des années 1990 typés Pixies ou shoegaze, puis dévoré les premiers Death in Vegas, et surtout la discograph­ie de Primal Scream pendant le confinemen­t, Fontaines D.C. a su trouver la matière sonore nécessaire à l’expression de ses angoisses ambivalent­es. Sur Bloomsday, l’adieu à Dublin et à la jeunesse insouciant­e prend alors des allures d’Higher Than the Sun (de Primal Scream) sous un soleil noir, quand ce n’est pas le morceau titre Skinty Fia et ses rythmiques puissantes empruntées au breakbeat qui déploient toute l’agressivit­é de XTRMNTR (du même groupe écossais). Discrimina­tions subies sur le sol anglais (Roman Holiday), complexité des relations humaines (Nabokov), ruine des addictions (How Cold Love Is)… Entre mélancolie et rage sous-jacente, l’identité irlandaise infuse les questionne­ments des Dublinois, mais si le rapport amour-haine avec la mère patrie est avéré (I Love You), les dix titres du disque apportent une certitude : l’Irlande est à jamais dans le coeur de Fontaines D.C. Sans controvers­e.

Skinty Fia (Partisan Records/PIAS). Sortie le 22 avril. Concerts le 10 avril à Lille (Aéronef) et le 11 à Paris (Olympia).

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