Les Inrockuptibles

DANS LA MESURE DE L’IMPOSSIBLE

- De Tiago Rodrigues Patrick Sourd

Avec empathie, l’auteur et metteur en scène portugais recueille les témoignage­s d’humanitair­es investi·es en zones de guerre. Ou comment dire l’indicible avec humilité.

Comment rendre compte de la barbarie humaine ? À Beyrouth, en septembre 1982, Jean Genet fait figure d’exemple avec son texte Quatre Heures à Chatila.

Étant l’un des premiers à découvrir l’ampleur du massacre perpétré dans le camp de réfugiés palestinie­n·nes, il ne peut que s’interroger sur la manière d’exprimer un indicible qui échappe à la représenta­tion dans les médias.

“La photograph­ie ne saisit pas les mouches ni l’odeur blanche et épaisse de la mort. Elle ne dit pas non plus les sauts qu’il faut faire quand on va d’un cadavre à l’autre.”

Tiago Rodrigues s’interroge sur le même sujet avec sa pièce Dans la mesure de l’impossible en réunissant les témoignage­s de membres d’organisati­ons humanitair­es intervenan­t dans des zones de guerre. “Nous n’allons pas jouer ou illustrer des événements qui se sont déroulés là-bas,

précise Tiago Rodrigues. Non, nous allons raconter des événements que quelqu’un nous a racontés et qui se sont déroulés là-bas. Nous ne faisons pas du théâtre documentai­re mais un théâtre documenté.”

La pièce condense les confession­s de quatre humanitair­es après leurs rencontres avec l’auteur et metteur en scène et les comédien·nes qui les incarnent. Retravaill­é à partir de ce matériau brut, le texte final se libère des références aux conflits – dont les récits rendent compte – pour préférer décrire des situations aussi intemporel­les qu’exemplaire­s. Pour témoigner de l’irréconcil­iable présent de ces volontaire­s vivant entre deux réalités, Tiago

Rodrigues préfère parler d’un mouvement de bascule entre “le monde du possible”, figurant les sociétés où règne la paix, et “un monde de l’impossible”, désignant celui qu’ils et elles parcourent lors de missions où plus aucune règle n’existe.

Créé sur le plateau de la Comédie de Genève, le spectacle nous entraîne vers l’ailleurs d’un paysage abstrait figuré par la toile blanche d’un chapiteau suspendu à mi-hauteur dans les cintres. Comme une sourde menace, les solos du batteur Gabriel Ferrandini évoquent la violence qui cerne en permanence ceux et celles qui oeuvrent pour porter de l’aide et des soins. Aucun·e ne prétend être un héros ou une héroïne… “On est un bout de sparadrap sur la souffrance humaine.” La grandeur de ces engagement­s tient alors à la valeur d’une humilité partagée par tous·tes. Ils et elles se savent incapables de réduire la faille qui sépare les deux mondes, mais persistent à penser que sauver une vie est une bataille qui se gagne au jour le jour.

Dans la mesure de l’impossible texte et mise en scène Tiago Rodrigues, avec Adrien Barazzone, Beatriz Brás, Baptiste Coustenobl­e, Natacha Koutchoumo­v et le batteur Gabriel Ferrandini. Du 6 au 8 avril, Théâtre de la Cité-CDN, Toulouse. En tournée jusqu’au 27 mai.

Du 16 septembre au 15 octobre à l’Odéon-Théâtre de l’Europe dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.

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Baptiste Coustenobl­e, Natacha Koutchoumo­v, Adrien Barazzone et Beatriz Brás.
↓ Baptiste Coustenobl­e, Natacha Koutchoumo­v, Adrien Barazzone et Beatriz Brás.
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