MON PAUVRE LAPIN
Un premier roman d’initiation loufoque, pour dire le parcours d’un jeune homme qui rate tout. À découvrir d’urgence.
César est un fils de bonne famille qui s’est confiné chez sa grand-mère, à Key West, en Floride, car elle passe là-bas tous ses hivers. Il veut saisir l’occasion pour se mettre à écrire mais il ne sait pas quoi écrire. Alors il raconte sa vie. Pour son premier roman, César Morgiewicz, 25 ans – dont la maison d’édition nous informe qu’en 2019
“il s’est enfui de Sciences Po” et “vit depuis chez sa grand-mère” –, joue avec les codes de l’autofiction pour construire l’épopée farfelue d’un jeune homme hypocondriaque et angoissé.
Dans ce récit d’apprentissage où le héros rate tout, les choses avaient pourtant bien commencé. Né dans un milieu social privilégié, il est, enfant, particulièrement choyé par sa mère, sa grand-mère et ses tantes. Mais leur sollicitude vire à l’absurde, voire à la persécution, et le jeune César traverse bravement son existence en essayant de masquer à quel point tout pour lui est insurmontable.
Des années de lycée au concours – raté – de l’ENA, des discussions avec les femmes de sa famille aux tentatives pour exister en société, l’auteur enchaîne avec humour les situations cocasses. Un humour toutefois teinté de noirceur. Écrasé par le monde hétéronormé qui l’entoure, le solitaire César n’ose avouer, même à lui-même, qu’il préfère les garçons aux filles. Alors il tente de se plier aux conventions, pour sa mère, pour la galerie, et une tonalité désespérée, qui s’amplifie au fil des pages, rend ce drôle de livre particulièrement émouvant.
Mon pauvre lapin de César
Morgiewicz (Gallimard), 240 p., 19 €. En librairie le 7 avril.
L’écrivain poursuit un travail autofictionnel singulier. Ici, la rencontre fortuite avec un petit garçon le conduit à s’interroger sur la construction d’un personnage.
En quelques années, Mathieu Bermann a installé une écriture autofictionnelle et un univers, l’exploration des relations amoureuses vues comme la chambre d’écho d’enjeux plus larges. On retrouve ici son narrateur trentenaire, écrivain installé à Bruxelles, homosexuel à la vie sans attaches. On retrouve aussi Valentin, l’ami proche qui était un des personnages de son premier roman, Amours sur mesure (P.O.L, 2016). Pourtant, ce nouveau et cinquième texte, Un début dans la vie, semble décentré, car son sujet est un petit garçon de 4 ans et demi, Malo.
Le narrateur passe un week-end dans la maison de famille de Valentin, où séjournent aussi les parents de celui-ci et les enfants de sa soeur, Léa et Malo. En arrivant il ne sait qu’une chose : Malo est ingérable. Mais très vite naît l’intuition que Malo concentre en lui les dysfonctionnements d’une famille en apparence aimante. Et c’est pour cela qu’il agace tout le monde. Observation du monde perdu de l’enfance, exploration de la mécanique familiale. Bermann s’aventure sur un terrain balisé de la littérature et s’en échappe avec virtuosité.
Durant la première partie du texte, qui décrit le week-end, sa phrase est tout en ressassements circulaires, comme si le narrateur réagençait à l’infini les quelques minuscules informations dont il dispose pour parvenir à comprendre Malo. “Son enfance m’apparaissait comme les premiers rouages, décisifs, d’une machine infernale et fascinante à la fois.” Bermann inscrit Malo dans un tissage de forces qui le dépassent et montre comment une famille peut déterminer à l’avance les rôles de chacun·e. Il propose aussi une réflexion subtile sur la place des femmes dans ce milieu social qu’il met en scène : Marie, mère de Malo et Léa, est une femme qui, depuis toujours, tente de s’enfuir, mais semble condamnée à rester une mineure à vie dans les yeux de ses parents. Avec ce texte nourri de références cinématographiques et littéraires, l’auteur poursuit ce qu’il a installé depuis ses premiers livres : une réflexion sur la marge de liberté d’individus soumis à diverses dominations.
Mathieu Bermann réussit à déjouer les attentes. Même si Malo réveille chez le narrateur des souvenirs d’enfance, l’auteur ne verse pas dans une psychanalyse facile, qui consisterait à établir un parallèle trop simpliste entre eux. Il prend de la distance et observe la situation sous son aspect littéraire. Dans une deuxième partie du texte, le narrateur-écrivain se demande en effet comment il peut ou doit envisager de transformer un petit garçon en personnage de roman, et s’interroge sur son droit d’imaginer son avenir. Une rupture formelle, l’intrusion d’une liste de scènes possibles, sort le livre d’une zone confortable d’observation psychologique. Et questionne l’écriture autofictionnelle. “Et que se passera-t-il si, d’aventure, quand il sera en âge d’en lire, Malo tombait sur ce livre – ce livre où je n’ai pas pu tout dire sans travestir parfois certaines circonstances entourant les faits que je rapporte ? Eh bien je me dis que Malo, qui ne s’appelle pas ainsi dans la réalité, ne se reconnaîtra même pas.”
Un début dans la vie de Mathieu
Bermann (P.O.L), 176 p., 18 €. En librairie le 7 avril.