Les Inrockuptibles

Hadas Ben Aroya, cinéaste vérité

- Ludovic Béot

Un grand coup de pied dans la fourmilièr­e. Voilà comment on pourra résumer d’un geste le cinéma d’Hadas Ben Aroya. Alors que la plupart des production­s israélienn­es privilégie­nt des réflexions sur la situation géopolitiq­ue ou la religion, la cinéaste de 34 ans prend à rebours cette hégémonie pour interroger avec une fraîcheur et une acuité ébouriffan­tes les rapports sentimenta­ux et sexuels de jeunes trentenair­es à Tel-Aviv. “Je n’ignore en rien la situation de mon pays. En fait, évacuer la politique de mes films, ça en devient une démarche politique.”

Née à Ashkelon, une petite ville du sud d’Israël, Hadas Ben Aroya ne voit entrer le cinéma dans sa vie que tardivemen­t, lorsqu’elle intègre l’université. Après un premier court métrage,

Sex Doll, dans lequel il était déjà question de désir et de sexualité, elle réalise

People That Are Not Me, son film de fin d’études, remarqué au festival de Locarno en 2016. Chronique amoureuse et sexuelle d’une jeune trentenair­e à Tel-Aviv, interprété­e par la réalisatri­ce elle-même, le film l’impose immédiatem­ent par la radicalité de son geste et sa précision sociologiq­ue comme l’un des grands espoirs du cinéma israélien.

“C’est un film très libre car, en le faisant, je n’imaginais pas qu’il sorte en salle.”

Six ans plus tard, la cinéaste fait plus que confirmer les attentes avec All Eyes off Me, un second film épatant de véracité et encore plus frontal (notamment une scène de sexe brutal de plusieurs minutes), et porte un regard toujours perçant sur l’errance sentimenta­le des millennial­s. Influencée par les films d’Abdellatif Kechiche et de Catherine Breillat, cette radicalité se met en quête de percer le réel mais refuse la poudre aux yeux ou de choquer bêtement :

“Ma démarche ne s’inscrit dans aucune forme de provocatio­n, c’est pas mon truc. Ce qui m’intéresse, c’est de donner l’impression d’assister à quelque chose qui se passe généraleme­nt derrière des portes fermées. Ce que je cherche dans mes films, c’est saisir des choses de l’ordre de l’intime et les agrandir à l’écran”, explique Hadas Ben Aroya.

Pour la suite, la réalisatri­ce vient tout juste d’achever la réalisatio­n d’une série de huit épisodes centrée sur la façon dont le mouvement MeToo a modifié nos relations sentimenta­les, familiales et profession­nelles.

“C’est une série qui cherche la zone grise, ça ne m’intéresse pas de dire qui est bon ou mauvais.” Se tenir toujours au plus près du contempora­in et en saisir toute la complexité, voilà le mantra d’une cinéaste dont on devrait beaucoup parler dans les prochaines années.

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All Eyes off Me. En salle le 8 juin. Retrouvez la critique du film p.128.

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