BREAKWATER
Une plongée tout en humanité dans le quotidien d’un cinéma de Brighton par une dessinatrice anglaise à suivre.
Sur la jetée de Brighton, une institution attend les curieux et curieuses : le Breakwater, autrefois plus gros cinéma anglais en dehors de Londres, désormais endroit décati qui survit en programmant des blockbusters. Chris, employée quadragénaire, nous sert de guide, vérifiant à chaque fin de journée à coups de lampe torche que personne ne s’est perdu après la dernière séance. C’est elle qui accueille et forme la nouvelle recrue, Daniel, un homme de sa génération dont elle ne sait rien, à part qu’il fuit la vie de bureau.
Au bout d’à peine dix pages, Katriona Chapman a posé le cadre de son deuxième roman graphique (le premier traduit en français), un quasi-huis clos en noir et blanc qui, a priori, promet peu de fantaisies – à part quelques virées au pub entre collègues, l’action quitte rarement l’enceinte du cinéma. Pourtant, au fur et à mesure que l’illustratrice anglaise nous plonge dans son décor, elle parvient, grâce à son dessin expressif et sa mise en scène précise, à donner beaucoup de vie et de chair aux personnages de ce microcosme. Chapman montre une réelle aisance pour reproduire le fruit d’interactions sociales authentiques, si bien qu’il est facile de s’attacher à Chris, à Daniel mais aussi à Craig, leur collègue et ado farceur. La découverte de leur quotidien routinier, avec les pauses dans un local poubelles qui sert de salle de repos, déclenche l’empathie. Et l’amitié entre Chris et Daniel semble naître devant nous.
Conçu comme une peinture sociale proche d’un Ken Loach, le récit de l’Anglaise, traversé d’éclats mélancoliques, déploie ainsi son charme doux-amer, favorisé par des dialogues qui sonnent juste et la rondeur du graphisme. Par surprise, l’ambiance glisse vers le drame, péripétie qui confirme combien l’autrice est douée pour imiter la vie dans ce qu’elle a de plus imprévisible. Il ne faut pas se fier à la modestie affichée par ce roman graphique ; il se révèle puissamment émouvant.
Breakwater de Katriona Chapman (Futuropolis), traduit de l’anglais par Sidonie Van Den Dries,
168 p., 21 €. En librairie le 8 juin.