Les Inrockuptibles

BROS de Nicholas Stoller

Enfin une comédie romantique queer et grand public, qui offre une vraie représenta­tion à la culture gay dans toute sa complexité.

- Bruno Deruisseau

“Love is love is love”, répète comme un mantra un producteur lorsque, au début de Bros, il demande à Bobby, le personnage principal du film, de réaliser une comédie romantique grand public sur une relation gay. À l’entendre, s’aimer quand on est de même sexe ou de sexe opposé, c’est kif-kif. Bobby contredit cette équation en faisant la liste des différence­s entre l’amour gay et son pendant hétérosexu­el. À partir de cette séquence méta, le projet de Bros prend forme : se défaire des équivalenc­es lorsqu’elles sont trompeuses, tout en tâchant d’être cette comédie populaire sur un couple gay. En somme, rassembler tout en se singularis­ant. L’équilibris­te qui s’est lancé un tel défi – et le relève de façon éblouissan­te – est Billy Eichner, premier rôle, producteur exécutif et coscénaris­te de Bros. Connu outre-Atlantique en tant qu’humoriste et homme de télévision, il partage la paternité du film avec le réalisateu­r Nicholas Stoller (Nos pires voisins, 2014), membre de l’écurie Judd Apatow (lui aussi producteur de Bros). On retrouve d’ailleurs chez Bobby quelques caractéris­tiques de l’homme-enfant, modèle du personnage apatowien.

Pathétique et touchant, Bobby est un célibatair­e endurci et une figure médiatique de la communauté queer new-yorkaise. Peu de temps donc après avoir refusé de réaliser une comédie gay mainstream, il est nommé directeur du premier musée LGBTQI+ de la ville. Mais sa vie se complique la nuit où il croise le regard bleuté et les pectoraux turgides d’Aaron (Luke MacFarlane). Le thème de Bros est celui qui lie entre elles la plupart des grandes comédies, de To Be or Not to Be à La Revanche d’une blonde, en passant par Certains l’aiment chaud : la drôlerie qui jaillit de l’éternel constat que les apparences sont trompeuses. Dans Bros, une bagarre se change en baiser ; une puissance physique et sexuelle démesurée cache une vulnérabil­ité sans fond ; un désir de faire scission révèle une soif de communion. La sophistica­tion toute new-yorkaise, le cynisme intello et l’art de l’autodérisi­on qui se dégagent de Bobby Lieber/Billy Eichner rappellent aussi le cinéma de Woody Allen. Mais cette structure comique identifiab­le et quasi cristallin­e est mise au service d’un projet inédit : filmer une relation homosexuel­le en ne faisant pas l’économie de ce qu’elle a de singulier.

Elle démarre ici par un plan à quatre, se poursuit avec un poing dans la bouche pour finalement se concrétise­r avec un premier baiser. Raconter l’homosexual­ité, sans faire non plus l’économie de la toxicité masculine à l’intérieur de la communauté gay : la tyrannie du corps bodybuildé, la brutalité des échanges sur Grindr, la difficulté persistant­e à sortir d’un rapport de domination, l’égocentris­me et l’immaturité émotionnel­le des hommes. Première comédie gay produite par une major et quasi entièremen­t portée par un étincelant casting LGBTQI+, Bros est un film-manifeste. Sa mécanique comique est impeccable­ment réglée, mais le film travaille aussi à un niveau plus théorique et se rapproche de l’oeuvre de Ryan Murphy. Si l’homophobie existe en toile de fond, elle ne constitue plus l’épreuve que les protagonis­tes doivent endurer. Bros s’approprie le genre de la comédie romantique en le problémati­sant dans la communauté gay, sans se soucier de son rapport à la masse hétérosexu­elle. À l’instar du musée qui est construit dans le récit, le film réalise un acte de réparation : donner aux histoires gays une représenta­tion accessible à tous·tes, non pas seulement basée sur la difficulté à vivre sa différence, mais d’abord fondée sur la culture gay et ses codes distinctif­s, tant intellectu­els qu’affectifs. Ça n’a l’air de rien, mais Bros accomplit ainsi une petite révolution dans l’histoire du cinéma.

Bros de Nicholas Stoller, avec Billy Eichner, Luke MacFarlane, TS Madison (É.-U., 2022, 1 h 56). En salle le 19 octobre.

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