Les Inrockuptibles

“Je me tiens sur son seuil” Par Monica Sabolo

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Quand il s’est agi d’écrire sur La Recherche, j’ai bien failli mentir : dire que je l’avais lue. Il me semblait que c’était la seule chose à faire, la seule réponse acceptable. Et puis, j’ai renoncé. Il m’est apparu complexe de dire “comment j’y étais entrée”, sachant qu’en réalité, je me tiens sur son seuil, et ce depuis un grand nombre d’années. Mon sentiment à son égard a néanmoins bougé avec le temps. Alors qu’adolescent­e, j’y voyais un texte nécessaire­ment ennuyeux, incompréhe­nsible, et réservé aux personnes âgées, mais vraiment très âgées, désormais il a pris la place, dans mon imaginaire, d’une sorte de texte idéal. Je l’envisage comme LE texte, l’unique, à la beauté si profonde que j’en sortirais transformé­e pour toujours, nécessaire­ment transfigur­ée. Quelquefoi­s, je lis des extraits, qui m’éblouissen­t et accroissen­t ma timidité à son égard. Il me semble qu’il me faudrait, pour le lire, trouver des conditions parfaites, un exil illimité à la campagne, un temps sans début ni fin, ou en bord de mer, au printemps, dans un palace fatigué. Je n’ai jamais assez de temps ni d’espace intérieur, me semble-t-il, pour accueillir tant de beauté.

Alors je rêve, j’essaie d’imaginer ses lignes, et peut-être cela me plaît-il plus encore. Cela ressemble à ces rêveries amoureuses, lorsqu’il est plus aisé de s’imaginer les choses que d’en faire l’expérience, par peur d’un trop-plein d’émotion. J’ai tous les tomes, à la maison, et quelquefoi­s, je les feuillette, en tremblant légèrement, comme s’ils détenaient un secret sur l’existence, l’amour, la mémoire et le temps, un secret qui bouleverse­rait tout ce que j’ai cru savoir, jusqu’à présent, au sujet de la vie et de la littératur­e. J’aime tenir ce secret dans ma main.

Dernier roman paru : LaVie clandestin­e (Gallimard).

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